« Arrête de trembler Danaë, tu n’as aucune raison d’être nerveuse.  Essaie juste de frapper le plus fort possible dans ce sac de sable. »  J’ai mal aux poings, mais il faut que je me défoule, que je prenne l’air. Wendy m’a dit que c’est bon de faire du sport pour apprendre à mieux contrôler son corps. Mais ça y est, je n’y arrive plus. Je m’arrête et m’allonge dans le sable, essoufflée. Le ciel est dégagé. Il fait chaud. Très chaud. Et là, je commence à déconner. Je me mets à penser à mon passé. Je pense à ma maman. Enfin, je crois que c’est elle. Je sens comme une caresse sur ma joue, mais évidemment, il n’y a personne. C’est juste une brise tiède. Je me redresse avec difficulté.

Des pas s’approchent. Par réflexe, je bondis et grimpe dans l’arbre touffu le plus proche. Je ne veux pas qu’on me voie ici. Je n’ai pas envie qu’on se moque de ma faiblesse, de ma maladresse. Une silhouette débarque dans la clairière. Je la reconnais rapidement : Allya. Je suis un peu soulagée. C’est certes une coureuse, mais elle ne se moquera sûrement pas de moi. J’entends une branche craquer, et avant que ne n’aie le réflexe de m’accrocher, je perds l’équilibre et finit par m’écraser la tête dans le sable. Légèrement sonnée, je crache le sable et me mets debout. « Eheh c’est embarrassant… Bien le bonjour Allya ! » Je réalise qu’à cette heure-ci elle devrait être dans le labyrinthe. Peut-être a-t-elle pris un jour de congé ? « Tu ne devrais pas être dans le labyrinthe à courir après je ne sais quel créature horrible ? » Je tente de dissimuler mon envie et mon admiration. J’aurai tellement envie de voir ce qui se cache derrière ces hauts murs de béton. Mais Allya ne doit pas en subir les conséquences. « J’étais pas en train de t’espionner, hein, ne te méprends pas ! Je cherchais juste heu… des cerises voilà ! J’ai crû apercevoir des cerises dans l’arbre ! » En me dandinant d’un pied sur l’autre je regarde autour, espérant que personne ne suit Allya.

Je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou pas, mais Allya le prend à l’humour. Décidément elle me plaît de plus en plus cette coureuse. Elle me salue, avec un sourire. « Salut Danaë ! Tu faisais quoi dans l’arbre ? » Quand je tente de la rassurer sur mes  intentions, elle éclate de rire, un rire vrai, et communicatif comme on n’en entend pas souvent au bloc. Je cède et rit avec elle un petit moment. « Des cerises ? Intéressant ! Tu ne voudrais pas plutôt t’entraîner ? Vu que c’est l’endroit adéquat… Enfin je dis ça mais il y a peut être beaucoup de cerises dans le coin hein, je ne suis pas une pro ! » Allya regarde en direction de l’arbre, puis hausser les épaules. Avant que je n’aie le temps de souffler, la brune grimpait déjà avec agilité sur l’arbre. Je ne peux m’empêcher d’envier son habileté. Rapidement, elle arrive au sommet de l’arbre. Je ne distingue plus que ses jambes athlétiques qui dépassent du feuillage. « C’est sûr qu’il y a une belle vue ! » Dit-elle de là haut. Elle reste ainsi quelques minutes puis redescend à la manière d’un singe. C’est un compliment, hein.

Elle revient face à moi, le sourire aux lèvres, encore un sourire communicatif, que je me sens obligée de rendre. « Tu es au bloc depuis longtemps? » M’interroge-t-elle après un instant de silence. Je lui réponds : « Il y a deux mois ! Et toi ? T’as l’air d’être habituée au bloc, j’imagine que tu dois être ici depuis plus de six mois… Comme tu as de la chance d’être coureuse !  J’aurai tant aimé l’être ! » De mes mains je désigne mon corps frêle. « Seulement je n’ai pas du tout la condition physique nécessaire.. Du coup je suis aux cuisines. » Je hausse les épaules et lui sourit. « Enfin bref, on s’y fait. De toute façon il faut bien des gens pour faire le sale boulot… » Je songe à Wendy qui m’apprend à tuer de pauvres moutons sans défense. A chaque fois que j’ai fait ça, je n’en ai pas dormi la nuit qui a suivi. L’idée d’ôter la vie me répugne, même si c’est pour me nourrir. « Et puis, tu as vu, Jonas a rallongé les heures de travail ? Ça devient infernal… » Je regrette immédiatement mes paroles. C’est un sujet sensible, et moi je l’aborde avec Allya, dont je ne connais absolument pas l’opinion à ce sujet. « Je suis désolée c’est pas un sujet très approprié, oublie ! » Dis-je en riant. Je me souviens la phrase de conclusion de Jonas et sa milice : « Le conseil qui vous protège » Pff quelle ironie ! Ce serait plutôt : « Le conseil qui vous asservit et vous épuise. ». Mais j’évite le sujet car je n’ai aucune envie de finir au gnouf.