L
’après-midi s’achevait doucement dans le bloc et un soleil couchant arrosait l’esplanade de ses rayons couleur de feu. Certaines parties, déjà, était plongées dans l’ombre. Dans l’un de ces endroits d’une obscurité inquiétante se tenait une petite fille, les yeux brillants, la peau caramel et les lèvres rosée : Loveela. Comme tous les jours, à l’heure où les coureurs et les trappeurs surgissent de la bouche béante du labyrinthe, la petite fille observait, adossée contre un arbre, le retour de l’élite des blocards. Elle les admirait tant, Loveela ! Elle les enviait également ; la petite fille était secrètement jalouse de la « chance » qu’ils avaient de pouvoir explorer les mystérieux couloirs du dédale. Elle avait souvent rêvé, Loveela, de pouvoir elle aussi courir à travers ces couloirs ; cependant, personne ne semblait vouloir la laisser faire comme bon lui semblait et seul l’imagination de l’enfant avait le droit de s’évader entre les murs hostiles de pierre et de lierre.
Loveela, un air rêveur dépeint sur son visage, les regardait sortir, un à un, transpirant à grosses gouttes, à court de souffle. Soudain, elle vit une ombre plus petite qu’à l’usuelle surgir de la porte immense du labyrinthe. Elle plissa ses grands yeux chocolat pour mieux la voir. Ce qu’elle vit lui déplu fortement : un garçon, aux traits encore enfantins, l’air à peine plus âgé que la petite fille, venait de sortir de la pénombre, suivit de ce qui lui sembla être un trappeur. Elle se frotta les yeux, ne voulant pas y croire. Pourtant, le jeune garçon était bel et bien là et elle jurait l’avoir vu sortir en compagnie de d’autres coureurs.
« Est-ce seulement possible, murmura-t-elle à elle-même,
qu’un garçon aussi jeune soit sorti de cet endroit ? »Curieuse, elle se leva et partit à la rencontre de l’enfant coureur, priant pour que celui-ci ne soit qu’un rêve, qu’une illusion.
La petite Loveela se tint derrière le jeune garçon, doutant encore de la réalité de la silhouette qui marchait devant elle, d’un pas rapide, vers les douches. Celui-ci se retourna, tout d’un coup ; la jeune enfant n’eut pas le temps de se cacher. Elle resta planté là, immobile, le regard plus sombre que jamais. Le garçon lui sourit, un sourire timide et rayonnant. Loveela ne le lui rendit pas et continua à le fusiller du regard ; ce sourire n’avait fait qu’empirer le ressentiment que la petite métisse éprouvait déjà contre le jeune garçon. Son sourire lui avait confirmé qu’il n’était pas un fantôme, mais bien de chair et d’os ; il lui avait confirmé qu’elle n’avait pas rêvé en voyant sa tête brune sortir du labyrinthe. Qu’y faisait-il ? Loveela n’eut pas le temps de le lui demander. Ce dernier avait déjà disparu.
« Nurh, souffla-t-elle à l’être imaginaire qu’abritait son esprit,
penses-tu que ce garçon soit coureur ? Est-il possible qu’il puisse, si jeune, s’aventurer dans le labyrinthe ? »Pour la première fois, « Nurh » ne lui répondit pas. Elle décida d’attendre que le jeune garçon sorte des douches.
•••Loveela ne sut combien de temps elle attendit le retour de l’enfant. Les portes du labyrinthe, déjà, s’étaient refermées et la lumière dans le bloc se faisait plus rare. Pourtant, la petite fille n’avait jamais perdu patience. Elle était restée là, assise, seule, dehors, dans l’herbe froide et humide. Plusieurs blocards passèrent devant elle et lui lancèrent des regards interrogatifs ; elle les ignora et s’enferma dans une bulle invisible, dans laquelle personne ne pouvait l’atteindre.
Soudain, elle vit une ombre se dessiner dans la pénombre, un peu plus loin. Petite et chétive, l’ombre ne pouvait qu’appartenir au garçon qu’elle avait aperçu tout à l’heure. Elle se redressa, brusquement, pour lui signaler sa présence. Loveela le vit s’approcher, d’un pas peu assuré ; il arriva à sa hauteur et la petite métisse crut voir un semblant de gêne innocente se dessiner sur le visage du jeune garçon. Celui-ci, hésitant, rompit le silence le premier :
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« Sa... lut ! Je m'appelle Axel, je suis coureur... Et... toi ? »« Je suis coureur ». Cette phrase passa en boucle dans la tête de la petite fille et chaque mot sonnait à ses oreilles comme la plus horrible des mélodies. Son sang ne fit qu’un tour ; elle dut se retenir de ne pas se jeter à son cou et se contenta de le fusiller du regard. Elle tenta ensuite de se calmer, de ne pas s’énerver, mais l’émotion prit le dessus et elle lui hurla, d’une voix trop forte pour sortir d’un aussi petit corps :
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« Tu mens ! Tu mens, tu mens, tu mens ! Tu ne peux pas être coureur, ce n’est pas possible !!! Tu es trop jeune, tu n’as pas le droit d’aller dans le labyrinthe ! Tu n’es qu’un menteur !!! TU N’ES PAS COUREUR ! »La petite Loveela tremblait de rage.
« Il n’est pas possible que ce soit la vérité. », se répétait-elle. Cependant, elle sentait au fond, que de la bouche de ce garçon, ne pouvait s’échapper aucun mensonge. Elle le savait, qu’il ne mentait pas. Elle ne voulait simplement pas y croire.