J’entamais déjà ma quatrième journée au sein du Bloc, j’avais l’impression que le temps s’écoulait de plus en plus vite au fil des heures mais ce n’était sûrement qu’une impression. Dès que les premiers rayons de soleil se pointèrent, le Bloc entier reprit vie. Depuis les quelques planches de bois qui me servaient de lit, j’écoutais attentivement tous les bruits qui m’entouraient, des rires accompagnés de messes-basses, des bruits de pas pressés, un objet métallique tombé à terre… A force tout cela me donna un affreux mal de tête, je m’extirpai alors de mes draps avant de m’assoir en tailleur. Pendant toute la nuit je n’avais réussi à trouver le sommeil, une fois de plus je démarrais ma journée par une nuit blanche. J’aurais bien voulu m’endormir profondément mais dès que mes paupières se refermaient je refaisais le même rêve qui réussissait à me perturber jusqu’au plus profond de moi-même. Je revoyais toujours les quelques bribes du visage de cet homme, il ne cessait de répéter mon nom avec un sourire, de plonger son regard à travers le mien. Il paraissait si vrai et à la fois si… Peu importe. Ce qui était sûr c’est qu’il existait obligatoirement un lien entre ce rêve et ce qu’il m’arrivait en ce moment. Tout cela me fatiguait, j’eus du mal à me lever tant ma tête me lançait. Je réussis à me raccrocher à un pilier en bois le temps que le sol cesse de tourner sous mes pieds. Soudain une voix grave s’éleva à l’entrée du dortoir me faisant sursauter. - Hé ! Où elle est la nouvelle ? On l’attend dans les plantations ! Je voulus signaler ma présence en criant par l’escalier mais aucun son ne voulut sortir de ma bouche, il y avait comme une sorte de boule au fond de ma gorge qui m’empêchait de m’exprimer. J’avais complètement oublié que je ne possédais plus la capacité de parler. Je m’empressais donc de me rincer le visage avant de descendre à toute vitesse les marches grinçantes de l’escalier. Arrivée dehors, le garçon à la forte carrure me toisa puis pointa son doigt vers les champs de maïs. - Tu commences dès maintenant. Aujourd’hui tu feras quelque chose de facile, t’auras juste à récolter tout les épis de maïs que tu vois. J’avais bien compris que j’allais sérieusement commencer à travailler mais cela ne me dérangeait pas. Il me tendit un simple panier avant de me lâcher ses derniers ordres. - Et quand t’auras finis t’iras nourrir les bêtes et faire ce qui va avec compris ? J’acquiesçai d’un hochement de tête bien que récolter les légumes ne m’intéressait pas trop, en fait j’étais plus enthousiaste à l’idée de pouvoir m’occuper des animaux du Bloc. Au fond j’espérais que travailler me ferait oublier. Ce que je dis n’a pas de sens, je n’ai déjà que très peu de souvenirs, pourquoi voudrais-je tant oublier ? Je rejoignis donc les grandes étendues de maïs puis m’affairais à la tâche. Passant de plantations en plantations, j’observai avec attention chaque maïs afin de m’assurer qu’il soit bien mûr avant de le détacher de sa tige. Je me repérai aux feuilles dès que celles-ci commençaient à se détacher des grains il fallait le cueillir. Je ne savais pas vraiment d’où je savais tout ça mais mon intuition me poussait à procéder ainsi. Peut-être que dans mon ancienne vie j’étais une fermière ? D’un côté ça justifierait beaucoup de mes choix. J’aimais bien imaginer quelle personne j’aurai pu être dans mon ancienne vie, car je savais bien que j’en avais eu une avant, au moins ce petit jeu avait le mérite de m’éviter de me perdre dans des pensées plus sombres. Après plusieurs allers-retours entre les plantations et le garde-manger mon souffle commençait à s’épuiser, je n’étais pas très sportive et j’avais la nette impression que ce petit panier devenait de plus en plus lourd. De plus celui-ci n’était vraiment pas pratique mais je n’avais pas d’autre choix, du moins c’est ce que je pensais jusqu’à ce que mon regard soit attiré par une brouette assez grande pour diviser mes allers et venues par quatre. Elle ne semblait pas être utilisée pour le moment, j’y déposai donc mon petit panier puis retournai parmi les épis. Je travaillais sans relâche jusqu’à ce que le soleil soit haut dans le ciel. Le visage couvert de sueur je ramassai avec satisfaction le dernier épi mûr et entamai encore un ultime retour vers le garde-manger. Une des cuistots me remercia d’un sourire mais je n’eus le temps de le lui rendre qu’un de ses collègues apparut dans l’encadrement de la porte. - Mais ne serait-ce pas la fameuse Muette ? L’adolescent avait prit un malin plaisir à accentuer la fin de son dernier mot et son regard se faisait malicieux. Je sentis mes joues s’échauffer à la prononciation de ce surnom, j’aurais tant voulu leur dire d’arrêter de m’appeler ainsi mais je ne pouvais rien faire contre eux car après tout ils avaient raison, je n’avais pas la parole. Je me résignai donc à garder le silence, de toute façon je n’avais pas d’autre choix. Je leur laissai la brouette emplie de maïs puis me dirigeai vers les enclos, mon petit panier sous le bras. Sur le sol était éparpillée une quantité de pailles, dans un coin se trouvaient deux énormes meules de foins et à côté d’elles étaient disposés les différents sacs de nourritures. Chaque animal avait son propre enclos, les cochons restaient avec les cochons, les vaches avec les vaches et pareil pour les moutons. Mais la basse-cour quant à elle se baladait librement, canards, poules et poussins mélangés, je faisais attention à chacun de mes pas, de peur qu’un de ces volatiles viennent se glisser sous ma chaussure. Je m’apprêtai à commencer ma seconde tâche quand j’entendis des brindilles de pailles frotter contre le sol. Quelqu’un était là. Je me redressai lentement, les bras chargés de foin, quand mon regard se posa sur un garçon que je n’avais encore jamais vu. Je me demandais bien ce qu’il faisait ici, il n’avait pas du tout l’allure d’un sarcleur, peut être s’était-il perdu ? Soudain je me rendis compte que je m’étais mise à le fixer et la première chose qui me traversa l’esprit afin de ne pas paraître étrange fut de le saluer d’un hochement de tête.
Dernière édition par Mia Howell le Mar 3 Mar - 8:31, édité 2 fois
La foret avait été ma demeure durant une très longue période, a peu près depuis que je suis arrivé en fait. Cette tranquillité qui la remplie, juste le son de la vie, de la nature, des insectes et des oiseaux, du vent et des arbres, pas cette cacophonie produite par les autochtones locaux que nous sommes. Les entendre crier et se battre toute la journée, bavasser et parler de futilité, qui a t-il de plus inutile et dérangeant, je vous le demande ? Car moi je ne vois pas. Le labyrinthe m'appelle tout les jours, c'est d'ailleurs l'unique raison qui me fait quitter ma forteresse de solitude, qui me fait voir le Bloc m'entourant et les âmes qui le peuplent. C'est pourquoi personne ne me connais, et personne ne me connaitra, car ici rien n'a de l’intérêt, rien ne vaut la peine d'être vu, rien ne vaut la peine d'être vécu. Nous sommes ici pour un moment, depuis un moment, et nous ne sortirons jamais. L'exploration du labyrinthe n'est qu'une cause perdue, il n'existe aucune sortie, aucun espoirs, aucun salut qu'importe l'endroit ou on cherche. Nous sommes une cause perdue, nous sommes perdu. L'expédition quotidienne n'est en fait qu'une moyen de mettre nos vie en danger, de trouver une porte de sortie qui n'est pas réelle mais se trouve dans la mort, dans l'envol de nos âmes vers une vie meilleure qui nous attend, une mort en combat, dans le but de trouver une sorte de Walhalla, le repos du guerrier qui est mort l'arme a la main. Car oui, c'est le seul moyen de sortir d'ici, dans la douleur et la peur. On y passera tous, alors autant profiter de ce qu'il y a ici, et ici, ce qui est bien, c'est le silence, un hamac, au milieu de la foret, en attendant la faucheuse qui nous guette depuis les portes du labyrinthe.
Mais la rumeur habituelle s’était transformée un matin. Les conversations habituelles que j'entendais depuis mon perchoir avaient ajoutée a leur vocabulaire un nouveau mot. Je me demandais d'abord la définition de celui-ci, et pourquoi il était arrivé d'un coup sans prévenir. Mais ça ne devait as être si important que ça, après tout, ce ne sont que des bocards, a tout les coups ça doit être un nouveau jeu débile qu'ils ont inventé pour faire passer leurs longues journées, ou une expression nouvelle désignant je ne sais quelle activité. En tout cas, l’intérêt n'était pas au rendez-vous. Mais cette expression s'était tout de même bien intégré au fil des jours, comme ancré. Peut-être était t-il temps de s'y intéresser. "La muette" qu'ils disaient. Cette bande d’illettrés parlaient ils de l'oiseau, " La mouette" ? Je ne pense pas. Et de la façon dont ils en parlaient, il s'agissait plus probablement d'une nouvelle blocarde. Une muette .. Ce serait parfait ça. Quelqu'un qui ne parle pas, ne crie pas, ne chante pas .. Le calme plat, une paix et une compagnie. Et si j'allais la voir ?
Je venais vraiment de penser ça ? A me sociabiliser ? Moi ? A aller voir de moi même quelqu'un d'ici, sans le rencontrer par hasard au détour d'un arbre, ou en le renversant lors d'une course poursuite avec un écureuil ? A croire que je change, que les mois passés dans ce bloc me changent .. Une sociabilisation volontaire de ma part, qui l'eut cru. J'avais entendu qu'elle était sarcleur, elle devait donc trainer près des enclos, du moins si elle fait bien son job, si elle est assez forte pour le faire toute la journée, car c'est pas un travail calme et reposant, non, les sarcleurs sont surement ceux qui se donnent le plus lors d'une journée, et pour nourrir tout le monde. Les coureurs et les trappeurs cherchent la sortie, mais ils ne pourraient pas le faire sans les sarcleurs, ils sont la base de tout. Alors les remarques que j'ai entendu sur cette nouvelle arrivante ne pouvaient pas être plus déplacées.
Il devait être aux environs de midi, j'abandonnais mon quartier général de bois, et me dirigeais vers les enclos. Les regards qui se posaient sur moi étaient remplis d'incompréhension, ils devaient se demander quelle raison me poussait a sortir de la foret sans que ce soit pour aller courir dans le labyrinthe. C'était la première fois, en 8 mois qu'ils me voyaient me balader au milieu d'eux tous. Les enclos n'étaient plus loin, et j'aperçus dans la bassecour une silhouette inconnue, ça devait être "La muette" j'imagine. Elle avait l'air fatiguée, mais ravi de son travail. Ses cheveux d'un blond doré s'associaient parfaitement au blé ne poussant pas loin, et ses yeux d'un bleue très claire me faisaient penser a la couleur cristalline du ruisseau qui parcourait le bois. Elle inspirait la pureté et la sagesse, la confiance et la patiente. Son visage doux indiquait qu'elle ne pouvait pas être méchante, même si elle l'avait voulu. Je ne suis pas quelqu'un de doux mais plutôt sauvage même, désagréable souvent, mais même sans l'avoir encore rencontré, je ne comprend pas qu'on puisse parler d'elle comme ça, en la réduisant a une ombre sans voix.
J'entrais dans l'enclos, derrière elle, je ne voulais pas lui faire peur, après tout je n'étais pas là pour la traumatiser plus qu'elle n'était déjà par cette environnement si déstabilisant qu'est le bloc et le labyrinthe qui nous encerclait. Ainsi je mis la discrétion de coté, la délicatesse des pas n'était pas présente, et c'est pourquoi elle m'entendit, elle n'avait pas perdu l'audition après tout. Elle se retourna sans précipitation, mais parue étonnée en me voyant. Elle me salut d'un hochement de tête, je fis de même. Comment allais-je "engager la conversation" car après tout, elle ne pourrait pas me répondre. Telle était la question. Je commençais a être mal alaise, la situation était lancée, je ne pouvais plus 'en échapper, mais elle n'avait pas l'air de juger. Et après tout, j'avais pour intention d'être sympathique. MOI ? SYMPATHIQUE ? Merde.. qui suis-je en train de faire. Bon, il était temps de parler.
"Salut ! J’espère que je ne t'ai pas fais peur. C'est toi la muette ? T'inquiètes je vais pas t'appeler comme ça, ça me ferait assez chier qu'on m'appelle le solitaire. Alors ce qu'on va faire c'est que tu vas m'indiquer ton nom, histoire que je puisse mettre autre chose que "La muette" sur ton front, j'suis pas là pour te descendre après tout. Bon, et si t'as pas envie de "me parler" , ou si je te fais chier, tu sais, y'a un signe universelle qu'on fait aux emmerdeurs, on le connait tous, et je comprendrai. Après tout, j'aime pas qu'on me parle moi, et c'est paradoxale parce que c'est un discours que je suis en train de te faire. M'enfin bon, t'as l'air vraiment sympa, et de ce que j'ai entendu, les gens ont pas l'air de l'être avec toi. Alors si tu veux de l'aide, si tu as besoin de quelque chose, n'hésites pas a m'appeler."
Elle devait me prendre pour un fou, je venais de lui parler pendant 5 minutes alors que c'était la première fois qu'elle me voyait, comme ça, planté comme un " i " devant elle, a déblatérer mes conneries. A tout les coups elle va me faire doigt, se retourner et recommencer a travailler. Du moins, si on avait inversé les roles, c'est ce que moi j'aurai fait. Aaaah, Ragnard, tu es trop aimable.
Je ne m’attendais vraiment pas à recevoir de la visite, disons que depuis mon arrivée j’étais plus le nouveau « défouloir » que la personne à absolument compter parmi ses amis, mais je ne savais pas encore ce qu’il venait chercher ici. Je ne m’emballais pas trop à sa venue, peut être était-il comme les autres, excité à l’idée de venir voir la fille sans voix. Oui, j’avais l’impression d’être une bête de foire et je savais que les gens me comptaient comme un poids lourd à cause de mon incapacité à communiquer. Mais je ne devais pas m’avancer, je préférais me dire que tous les blocards n’étaient pas comme ça. Et surtout j’espérais qu’ils n’étaient pas tous ainsi. Je restais donc debout face au visiteur, les bras chargés de brins de foin, en attendant que quelque chose sorte de sa bouche. Il répondit d’abord à mon salut d’un même hochement de tête, déjà il ne m’avait pas rit au nez, peut-être que ses intentions étaient purement amicales. Durant plusieurs secondes ce fut le calme plat et je ne pouvais certes pas faire grand-chose pour résoudre ce problème. Pendant un instant je crus voir ses lèvres bouger mais j’avais sûrement dus rêver car le silence ne fut toujours pas brisé. Je commençais à me demander s’il n’était pas muet lui aussi. Je le trouvais vraiment étrange, avec ses sourcils droit et son physique plutôt sportif, il paraissait être une personne forte et sûre d’elle mais ce qui était contradictoire c’est que je voyais bien qu’il ne savait quoi dire. Peut être avait-il peur de se lancer dans un monologue ? C’est vrai, de toute façon à part faire des formes confuses avec mes mains je ne pouvais pas trop lui répondre. Mais quelque chose m’intrigua, il semblait en proie à une lutte intérieure. Je voulus aller le rejoindre afin de comprendre ce qui le torturait, il me faisait tant penser à un petit animal perdu ou piégé, mais ce serait déplacer de ma part. Je ne le connaissais même pas après tout. Je tentais donc de rendre mon regard plus doux afin de le rassurer. Et tout à coup, ses lèvres s’ouvrirent et un son en sortit.
"Salut ! J’espère que je ne t'ai pas fais peur. C'est toi la muette ? T'inquiètes je vais pas t'appeler comme ça, ça me ferait assez chier qu'on m'appelle le solitaire. Alors ce qu'on va faire c'est que tu vas m'indiquer ton nom, histoire que je puisse mettre autre chose que "La muette" sur ton front, j'suis pas là pour te descendre après tout. Bon, et si t'as pas envie de "me parler", ou si je te fais chier, tu sais, y'a un signe universelle qu'on fait aux emmerdeurs, on le connait tous, et je comprendrai. Après tout, j'aime pas qu'on me parle moi, et c'est paradoxale parce que c'est un discours que je suis en train de te faire. M'enfin bon, t'as l'air vraiment sympa, et de ce que j'ai entendu, les gens ont pas l'air de l'être avec toi. Alors si tu veux de l'aide, si tu as besoin de quelque chose, n'hésites pas a m'appeler."
A ses premiers mots je le trouvais assez amical jusqu’à ce qu’il prononce le mot « muette ». La scène qui s’était produite avec le cuisinier ou même avec tous les autres blocards se reproduisait, ne se finira-t-elle donc jamais ? A l’entente de ce terme mes pieds se mirent à bouger d’eux-mêmes, automatiquement j’avais reculé d’environ cinq pas. Comme si mettre de la distance aller me protéger, c’était vraiment puéril comme comportement. Je me trouvais tellement lâche dans ce genre de situation, la seule chose que j’avais envie de faire était de fuir. Loin de ce surnom, loin de ces gens, tout simplement loin d’ici. J’en avais assez de cette étiquette que l’on m’avait attribuée et surtout assez de cette sensation d’enfermement qui me rongeait de l’intérieur. Malgré le recul que j’avais pris il continua à parler. Pendant un moment je restai sur la défense et quand je me rendis compte que ses intentions ne semblaient pas mauvaises je regrettais de ne pas l’avoir écouté deux secondes de plus. J’eus compris qu’il était solitaire mais même s’il ne l’aurait pas dit ce serait la même chose. Ses mots se faisaient hésitants et j’avais bien remarqué qu’il n’était pas habitué à aller vers les gens. Dès qu’il eut terminé, je ne pus réprimer un sourire. La situation était tellement ironique, ce devait sûrement être la première fois qu’il partait à la rencontre de quelqu’un et il fallait que ce quelqu’un soit muet. Je lui tournai donc les talons, le foin commençait à me fatiguer les bras et les animaux quant eux s’impatientaient. Je disposai rapidement le foin dans la mangeoire des vaches avant de recharger mes bras et de faire de même pour les moutons. Les cochons dormaient, pour la plupart et les volatiles s’étaient déjà servis dans un sac de graines qui était percé et dont le contenu se déversait sur le sol. Il me restait encore pas mal de travail et je voulais tenter de terminer tout ça avant la tombée de la nuit. Lorsque je me fus retournée j’ai été étonnée de voir le brun toujours présent, d’habitude les gens qui tentaient de me parler ne restaient jamais très longtemps avec moi et je les comprenais, je n’étais pas intéressante. J’essuyai alors mes mains poussiéreuses sur mon débardeur qui avait déjà besoin d’un bon nettoyage puis m’avançais vers l’inconnu. Je marchais tête baissée, absorbée par les petits nuages de poussière qui se soulevaient à chacun de mes pas, écrasant quelques brindilles au passage. J’évitais un œuf de justesse puis attendis qu’un poussin passe son chemin. Après encore quelques pas, une paire de chaussures de m’appartenant pas apparue dans mon champ de vision. Je n’avais toujours pas répondu à sa question et il avait eu la politesse de patienter, je me devais de lui donner ce qu’il voulait. Alors de la pointe du pied j’écartais plusieurs brindilles de paille, je dus attendre que le nuage de poussière se dissipe avant de pouvoir observer les lettres constituant mon prénom dessinées entre la paille répartie sur le sol. Mais je voulais aussi en savoir un peu plus sur lui, c’est pour quoi je dessinais ensuite une flèche pointée vers lui accompagnée d’un point d’interrogation. Lorsque je relevais mes yeux sur son visage je remarquai qu’il me dépassait bien d’une tête ou deux. J’avoue avoir été un peu anxieuse, une boule s’était nouée dans mon ventre. Au fond j’espérais que ces quelques dessins ridicules lui suffiraient à me comprendre.
J’étais passé pour un idiot, c'est sûr. Qui va consciemment vers quelqu'un sans savoir ce qu'il va lui dire ? Et bien moi ! Ragnard le con ! Punaise.. Mais pourquoi je passais ? Maintenant, je sais exactement pourquoi je ne vais pas vers les autres, quel intérêt ? Quoi leur dire ? Est-ce que parler fait avancer les choses ? Ce n'est pas mon avis. Et voilà qu'avant de parler j'avais passé une bonne minute a remuer les lèvres comme un autiste, a chercher l'inspiration qui fera vibrer mes cordes vocales. Elle a du me prendre pour l'idiot du village qui était en vadrouille pour s'aérer le trou béant qui lui sert d'esprit, mais elle n'aurait pas eu tort de penser ça après tout. Punaise, j'avais intérêt d'assurer pour la suite .. enfin, si il y a une suite.
Car a peine mon monologue commencé qu'elle se mettait a "fuir" , mais pourquoi fuyait elle ? Qu'avais-je fais ? En plus de me prendre pour un idiot elle a eu peur de moi, a tout les coups c'est ça. Je foire vraiment tout, il faut vraiment que j'arrête de penser que je peux me sociabiliser, que je peux établir un contact avec les gens .. Elle s'est éloignée sans rien dire juste parce qu'elle ne peux pas parler, sinon elle serait déjà en train de crier a l'aide aux quatre coin du bloc. Mais finalement non, je m'étais trompé, a la fin de mon monologue, elle me sourit. Un sourire honnête et angélique, quand je vous disait qu'on lui donnerait le bon Grand Milo sans confession, qui pourrait la craindre, qui ne serait pas attendri devant cette incarnation de la douceur et de la tendresse ? Merde. Me voilà qui divague. Depuis quand Ragnard le guerrier solitaire est-il attendrit par quoique ce soit. Non, je me dois d'être solide et fort, insensible, avec un cœur de pierre que rien ne peux pénétrer, ni sentiments, ni émotions, je suis une forteresse de solitude, je ne suis qu'un trappeur dévoué a sa cause qui n'a rien d'autre dans la tête que le labyrinthe, je suis un bateau sans port d'attache, je n'ai pas le droit de l’apprécier, je n'ai jamais apprécié qui que ce soit. Je ne suis pas là pour me lier d'amitié avec elle, je suis là pour .. Oui, pourquoi suis-je là ? C'est vrai, je n'ai pas vraiment réfléchie a ma venu ici. Je suis venu, c'est tout. Elle était là, si seule, si démunie, si perdue.. Je me devais de faire quelque chose pour elle après tout, elle était incomprise, comme moi.
Mais alors.. Pourquoi elle s'en va ? Pourquoi elle se retourne et retourne au travail ? Et ce sourire .. elle devait se dire " T'es mignon, mais t'es un tout p'tit peu con" et c’était une manière de me dire qu'elle n'avait pas besoin de moi pour l'aider et la guider ? Enfin, je n'avais pas proposé ça non plus .. C'est juste qu'elle a l'air si désemparée, comme un chiot abandonné par sa mère, une orpheline des rues pleurant pour qu'on l'aide mais que tout le monde ignore .. Car elle, ce sont des pleurs silencieux qu'elle émet, des plaintes qu'on n'entend pas, mais qu'on peux lire dans ses yeux. Elle est une sorte de livre, dont j'ai lu les premières pages en un regard, et ce n'est pas un livre joyeux. Il est rempli de mal-être, de tristesse, il y a quelque chose de lourd derrière ce regard, qui a l'air de lui peser sur la conscience, un poids qu'elle a l'air de porter depuis sont arrivé ici. Et ses yeux sont si bleus, on les croirait rempli de larmes qu'elle accumule depuis son arrivée ici, mais qu'elle n'ose pas laisser sortir, parce qu'après tout, au bloc, "il faut passer pour un dur" .
Du coup, j'allais pas me laisser faire, elle se retournait ? D'accord, je vais pas bouger. On va voir qui est le plus fort. Moi aussi je peux ne pas parler, alors on verra bien la tête qu'elle fera quand elle se retournera et verra que je suis encore là. On ne se débarrasse pas de moi si facilement. Durant ce temps qui me parut une éternité, elle fit tranquillement son travail de sarcleur et contribua au bien être de tout les animaux, et je comprend que le animaux aient un gout délicieux si ils sont dorloté comme elle les dorlote elle. On a l'impression qu'elle fait attention a tout, comme si tout était d'une fragilité extrême, comme si tout était aussi fragile qu'elle. Car ne vous étonnez pas, elle l'est, c'est évident, on vois dépasser cette personnalité là de la carapace, une carapace qu'elle ne contrôle pas apparemment, car l'option mutisme n’était surement pas au programme. Plus les minutes passaient, plus j'avais l'impression que je faisais une bêtise, et qu'en fait elle prenait son temps pour s'occuper des animaux uniquement pour qu'en se retournant elle ai le soulagement de me voir disparu, on verra bien, mais du coup elle risque d'être déçue.
Quand elle se retourna et me vit encore planté là, tel un poteau supplémentaire a l'enclos, elle fit eu une expression de surprise. Oui, je pensais voir du dépit sur son visage, de me savoir encore ici, mais non, c’était une surprise .. joyeuse ? Peut-on dire joyeuse ? Je ne sais pas. Mais c’était positif. Comme si elle était ébahi que j'ai pu l'attendre. Après tout, ce que moi je me demande a la vu de son visage enfantin, c'est comment j'aurai pu faire autre chose que l'attendre ? Elle est si .. Rassurante par sa crainte du monde. Sa réaction suivante fut aussi inattendue que réjouissante, elle baissa la tête vers le sol et se mis a piétiner dans ma direction comme le ferait une enfant timide pour aller voir son cousin qu'il n'a pas vu depuis longtemps. J’esquissais un sourire que j'essayais aussitôt de cacher, je ne pouvais pas, je n'avais pas le droit de décrocher un sourire pour une gaminerie comme ça, aussi mignon que cela puisse être ( Et punaise qu'est-ce que c’était touchant ! ) , après tout, je suis un grand trappeur, trapu capable courir une journée, je ne vais pas me ramollir pour si peu.
Une fois arrivé a une faible distance de moi, elle se mit a dessiner dans la terre avec ses pieds, c'est vrai qu'elle est nouvelle, et muette ou pas, elle n'avait surement pas encore eu le droit d'avoir un stylo et du papier, c'est que ça se fait rare ce matos là, et c'est revendu cher a l’intérieur du bloc. Qu’écrivait-elle, M.. I... A ! Elle s'appelait Mia ! C'est sympa comme prénom, en tout cas beaucoup plus sympa que "La muette", quelle bande de cons c'est blocard. Le prochain qui l'appelle comme ça en ma présence aura le droit a une bonne correction, on a pas le droit de faire du mal aux gens par pur plaisir. C'est malsain, ça tue l'ambiance et l'envie de s'en sortir, d'avancer, et bon diieu on en a besoin par ici de l'envie, plus que tout. Elle se mit ensuite a dessiner autre chose. Si elle décide d’écrire un roman comme moi j'en ai prononcé un, on est pas sortie de l'auberge. J'arquais donc un sourcil en signe d'interrogation, le temps qu'elle continu son œuvre plantaire. Un point d'interrogation et une flèche me désignant. Que voulait elle savoir ? Qui j’étais ? Je mis mon index sur mon torse comme pour confirmer ce qu'elle voulait dire et puis je commençais ma présentation. Après tout, elle ne pourra répéter a personne ce que je vais dire, et puis je vais devoir faire la conversation pour deux, alors autant la faire bien.
"Alors heu .. Tu veux savoir qui je suis hein ? Je pense que c'est ça ..Tu m'excuseras si je comprend pas bien ce que tu dis.. C'est pas que je me moque de toi ou quoi, enfin, si , je serai forcement amener a te taquiner a un moment, jamais rien de méchant, faut juste pas que tu le prennes mal si je suis a coté de la plaque.. Tu comprend, c'est juste que les dessins dans la terre c'est moins explicite qu'une phrase. Enfin, pardon, oui je sais que tu peux pas parler mais voilà, on se comprend hein ? J'utilise beaucoup le mot "comprend" c'est chelou c'est un peu comme si il voulait plus rien dire du coup.. Heuu.. Bref. Pardon. Alors moi c'est Ragnard, je suis trappeur, et .. je vis dans la forêt. Ouais ça fait bizarre dit comme ça, mais je supporte pas la compagnie des autres blocards, a beaucoup parler, a crier chanter, et faire chier le monde. je faisais des ronds dans la terre avec mon pied .. Un tic nerveux surement .. DEPUIS QUAND JE SUIS NERVEUX ? Alors du coup j'ai décidé d'aller m'isoler là ba. T'entendras surement des trucs pas cool sur moi, c'est que j’apprécie pas grand monde, alors forcement ça va dans les deux sens .. Et voila. Je suis arrivé il y a huit mois, j’étais milicien et un événement pas top m'a fais passé trappeur. J'ai décidé de le devenir en fait .. et .. voilà c'est moi. Normalement je suis pas un grand bavard, encore une fois c'est paradoxale car je te fais saigner les oreilles depuis un moment, mais comme toi tu peux pas parler, ça fait un vide a combler quoi.. enfin, on se comprend. Merde, "comprend", ce mot pourri. "
Mais qu'est ce que je venais de faire ? Je venais de me livrer comme ça , sans vergogne a une inconnue, sans réfléchir ? Les mot étaient sorti de ma bouche comme ça, comme une rivière en crue, et je venais de lui déballer ma vie.. De lui dire qui j'étais et comment je vivais, c'est le plus long discours que j'avais eu en 8 mois, je venais de parler plus que les 2 derniers mois cumuler.. Mais qu'elle démon est-elle pour me délier la langue si facilement ? Par quelle sorcellerie.. Je fis un pas en arrière, hésitant a m'enfuir en courant par honte de l'exposition de moi-même que je venais de faire, et je regardait aux alentours que personne ne m'avait entendu. Heureusement non, ce n’était pas le cas. Je poussais un soupir de soulagement et me dit que je ne pouvais pas fuir, ce n’étais pas digne de moi, je ne fuyais pas devant les créatures du labyrinthe, alors devant une petite chose si frêle et pleine de gentillesse que Mia était , ça aurait été stupide. Ainsi je me rapprochais a nouveau et lui dit :
"Bon, et toi, t'es qui en plus d'être Mia ? Enfin.. T'es comment ? Genre dans ta tête. Ou tes habitudes depuis que t'es là ? Ou .. Tu dors ou ? T'as des amis ? Des ennemis ? Y'a des gens qui t'ont causé des ennuis ? Et .. sinon simplement, ça va ? Je .. je sais pas comment tu vas me répondre, fais moi plein de petits dessins par terre, ou des grands même ! Je m'en fou. Ou alors ne me répond pas, hoche juste la tête, je comprendrai."
Pendant un instant j’eus peur qu’il ne parte, mes dessins me paraissaient confus et cela ne m’aurait pas étonné qu’il s’en aille à cause de l’incompréhension. Oui, j’avais peur et je trouvais ça complètement idiot, je ne savais même pas qui il était et pourtant je voulais garder le plus longtemps possible sa compagnie. Peut-être était-ce parce qu’il était le seul à avoir fait un effort pour tenter de communiquer avec moi ? Je n’en sais vraiment rien. D’habitude j’arrivais facilement à discerner le caractère des autres, d’un simple regard je voyais les défauts et les qualités mais là je me retrouvais face à un portrait caché par un voile de nuages qui ne laissait entrevoir que quelques facettes de lui. J’étais curieuse, trop parfois, j’aimais tout savoir, découvrir de nouvelles choses. Etait-ce cette curiosité qui me poussait à vouloir en savoir plus ? Une fois de plus je n’en savais rien. Je voulais savoir tant de choses, ma tête était emplie de questions mais je n’avais aucunes bases de connaissance. Au fond, mes dessins représentaient un peu mon état d’esprit, confus.
Puis sa main bougea, me sortant de mes pensées j’observais avec attention la direction qu’elle suivit jusqu’à ce qu’il pointe son propre torse. Avait-il comprit ? Je pense, il semblait vouloir s’assurer qu’il ne s’était pas tromper dans l’interprétation de mes dessins. A cette idée un sourire vint éclairer les traits de mon visage et je pointai à mon tour mon doigt vers lui tout en hochant la tête. Cette fois-ci son récit parut plus fluide, peut-être se sentait-il plus à l’aise.
"Alors heu .. Tu veux savoir qui je suis hein ? Je pense que c'est ça...Tu m'excuseras si je comprend pas bien ce que tu dis.. C'est pas que je me moque de toi ou quoi, enfin, si, je serai forcement amener a te taquiner a un moment, jamais rien de méchant, faut juste pas que tu le prennes mal si je suis a coté de la plaque... Tu comprend, c'est juste que les dessins dans la terre c'est moins explicite qu'une phrase. Enfin, pardon, oui je sais que tu peux pas parler mais voilà, on se comprend hein ? J'utilise beaucoup le mot "comprend" c'est chelou c'est un peu comme si il voulait plus rien dire du coup.. Heuu.. Bref. Pardon. Alors moi c'est Ragnard, je suis trappeur, et .. je vis dans la forêt. Ouais ça fait bizarre dit comme ça, mais je supporte pas la compagnie des autres blocards, a beaucoup parler, a crier chanter, et faire chier le monde.
je faisais des ronds dans la terre avec mon pied .. Un tic nerveux surement .. DEPUIS QUAND JE SUIS NERVEUX ?
Alors du coup j'ai décidé d'aller m'isoler là ba. T'entendras surement des trucs pas cool sur moi, c'est que j’apprécie pas grand monde, alors forcement ça va dans les deux sens .. Et voila. Je suis arrivé il y a huit mois, j’étais milicien et un événement pas top m'a fais passé trappeur. J'ai décidé de le devenir en fait .. et .. voilà c'est moi. Normalement je suis pas un grand bavard, encore une fois c'est paradoxale car je te fais saigner les oreilles depuis un moment, mais comme toi tu peux pas parler, ça fait un vide a combler quoi.. enfin, on se comprend. Merde, "comprend", ce mot pourri. "
Comprendre… Et voilà que ce mot se mit à occuper mon esprit tout entier. Tout tournait autour de ça au final, se comprendre était la chose que l’on recherchait à travers ces paroles maladroites. Avec une personne dotée de la parole il n’aurait sûrement pas eu le problème de réussir à comprendre l’autre. Voilà pourquoi les autres ne venaient pas me voir, on en revenait toujours au même problème. Réussir à se comprendre, cet objectif était-il vraiment important ? Je ne sais pas mais ce dont je suis sûr c’est que lorsque l’on ne comprend pas tout devient plus difficile. Déjà que cette vie se résume à être enfermé entre des murs, il fallait en plus réussir à comprendre ce qu’il se passe, comprendre les autres. Mais je ne me comprends déjà pas moi-même, d’un côté c’est normal je ne sais même pas qui je suis.
J’étais alors retombée dans mes pensées tout en fixant les dessins s’effacer lentement sous les frottements de ma chaussure. Et puis je le vis, son pied creusant nerveusement le sol de façon circulaire. Je retirais ce que j’avais pensé plus tôt, il n’était pas du tout à l’aise. Il continua son récit même si parfois sa voix semblait hésiter ou buter sur certains mots. Peu à peu je le voyais comme étant une personne contradictoire, mystérieuse ou tout simplement pas totalement « dévoilée ». Son image extérieure renvoyait un caractère fort, dur et froid mais dès qu’il ouvrait la bouche pour parler, cette armure de guerrier se brisait pour laisser la place à un garçon plus hésitant et moins sûr de ses paroles. Je ne savais pas trop comment le rassurer, je n’étais pas douée pour tout ce qui était contact et bien sûr je n’avais pas la parole. Je me retrouvais dans une impasse face à mon handicap.
Il s’appelait Ragnard, je n’avais jamais entendu un tel prénom mais il y avait comme une aura de puissance et de force qui s’en dégageait. D’un côté ça lui allait bien. Il vivait seul dans la forêt depuis huit mois et devait sûrement passer ses journées à l’intérieur du labyrinthe. Même si je n’y avais jamais pénétré je trouvais cet endroit affreux. Les cris et les hurlements qui s’en échappaient la nuit étaient terrifiants. Je me rappelle de l’unique fois où je suis passé devant les portes lorsqu’elles étaient ouvertes, l’air de cet endroit paraît différent. Plus froid et surtout plus malsain. Je ne pourrais jamais devenir trappeuse ou coureuse, rien qu’à l’idée de mettre un pied à l’intérieur j’en ai des frissons d’horreur. Mais quelque chose me dérangeait, ce devait être l’une des rares fois où il venait dans les enclos du bloc et ce serait vraiment étonnant si c’était juste pour venir faire la conversation. Que voulait-il donc ? J’étais peut être un peu trop sur la défense…
Il disait ne pas aimer la compagnie des blocards car ils parlaient trop, était-il donc venue me voir parce que je ne pouvais pas parler ? Si c’était vraiment pour ça il ne se différenciait pas des autres à mes yeux. Si c’était vraiment pour ça, la seule différence était qu’il ne se moquait pas, du moins pour l’instant, je trouvais son but assez égoïste au fond. Mais je ne voulais pas le juger, je voyais qu’il n’était pas à l’aise pour s’exprimer, c’était peut être une simple maladresse de sa part. Néanmoins, je ne pus empêcher mes sourcils de se froncer à la fin de sa phrase.
Encore une fois le verbe « comprendre » ne cessait de revenir, pourquoi j’avais l’impression que ça en devenait presque obsessionnel ? Et puis il recula subitement, je crus qu’il allait définitivement partir. S’était-il rendu compte que c’était peine perdue d’essayer de me parler ? Non, ses yeux exprimaient autre chose, ça ressemblait à de la peur mais en moins intense. Je n’arrivais pas trop à savoir ce qu’il se passait dans sa tête mais on aurait fortement dit qu’il s’en voulait d’en avoir trop dit. Mais oui, ce devait être la première fois qu’il racontait qui il était. Je voulus tendre ma main vers lui comme on tend la main vers une brebis pour l’amadouer mais je me retins, à la place je reculais à mon tour d’un pas afin de lui laisser un peu plus d’espace.
Il observa autour de lui, avait-il peur qu’on le voit en train de parler à « la Muette » ? Ce ne serait même pas surprenant si certains blocards venaient le rabâcher à ce sujet. Il semblait à nouveau se battre avec lui-même, se posait-il lui aussi toutes sortes de questions ? Alors il refit un pas en avant et recommença à parler à ma grande surprise. Il ne se disait pas très bavard mais il avait raison c’était complètement paradoxale à ce qu’il faisait.
"Bon, et toi, t'es qui en plus d'être Mia ? Enfin.. T'es comment ? Genre dans ta tête. Ou tes habitudes depuis que t'es là ? Ou .. Tu dors ou ? T'as des amis ? Des ennemis ? Y'a des gens qui t'ont causé des ennuis ? Et .. sinon simplement, ça va ? Je .. je sais pas comment tu vas me répondre, fais moi plein de petits dessins par terre, ou des grands même ! Je m'en fou. Ou alors ne me répond pas, hoche juste la tête, je comprendrai."
Face à toutes ces questions je perdis un peu pied. Je me rendis compte que mes dessins ne suffiraient pas et qu’il fallait sérieusement que je pense à un nouveau moyen de communication. Mais pour le moment je n’avais pas d’autre choix, j’utilisais donc les moyens du bord.
D’une main un peu hésitante je saisis la sienne, j’étais vraiment terrifiée à l’idée qu’il prenne ce geste comme une agression ou une insulte envers lui. Je posais mes genoux sur le sol avant de m’asseoir en tailleur et de me saisir d’un petit bout de bois. J’allais pouvoir m’en servir comme stylo et je commençais donc par dessiner une grande bulle avec une flèche pointant vers moi. A l’intérieur je notais quelques mots répondant à ses questions dont dortoir, timide, animaux, amis, ennemis et ennuis. J’avais souligné le mot amis et barré les mots ennemis et ennuis. Bien sûr ce n’était qu’un tissu de mensonge, je ne voulais pas passer pour la petite nouvelle misérable qui n’avait pas d’amis, je ne voulais pas attirer la pitié des autres. J’avais certes eus des ennuis, notamment avec les bâtisseurs qui se faisaient un malin plaisir de crier mon surnom à tous les coins du Bloc mais je ne pense pas que c’étaient très importants. Et concernant les ennemis, je ne détestais personne pas même ceux qui se moquaient de mon handicap.
Une poule se mit à trottiner sur mon dessin, laissant ses empreintes par-ci par-là, je souris en la voyant et ne pus m’empêcher de l’attraper. Elle ne semblait pas contrariée mais je la détendis tout de même avec quelques caresses puis la soulevai sans précipitation avant de la tendre vers Ragnard. Je savais que les animaux avaient le don d’attendrir n’importe quelle personne, même le plus grand et le plus courageux des soldats redevenait un enfant face à ces étranges petites créatures.
Elle était pensive, comme si tout ce qu'elle ne pouvait pas dire était multiplié par 10 et se retrouvait bloqué dans sa tête, comme une foule au début des soldes, écrasée contre le rideau du fer du magasin, mais son rideau de fer a elle n'a pas l'air de vouloir se lever. Elle est bloquée, bloquée en elle même, ne pouvait rien exprimer, rien faire sortir. Comme un bébé n'ayant pas encore acquis la parole, son seul moyen d'expression son les gestes, et les larmes. Je n'ai pas encore vu de larme couler sur ses joues, et j’espère ne jamais avoir l'occasion d'en voir. Pas que je déteste les gens qui pleurent, mais je n'arrive pas a imaginer qu'on puisse lui faire du mal a se point, qui serait assez bête .. Mais ce mal, elle l'a en elle, cette cage qui lui bloque les poumons, qui lui maintien les cordes vocales immobile, qui fait se remplir le vase de son esprit sans avoir prévu d’évacuation, et ses personnes qui en rajoutent, comme si la faire craquer était un but, mais pas le miens.. D'ailleurs l'avais-je vexée ?
Car elle se mit a froncer les sourcils a un moment.. J'avais surement dit une connerie, mais je ne voyais pas laquelle.. En tout cas mon but n’était pas celui là, je ne lui voulait que du bien. On était dans le même bateau elle et moi en quelque sorte, des naufragés solitaire sur une terre d’incompréhension. Loin de tous les blocards, ne comprenant pas nos façons de vivre ou de penser, même si elle et moi n’étions pas compris pour une raison différente, le fait était là, nous passions pour des marginaux. Elle par son incapacité a s'exprimer, et moi par ma non volonté de m'exprimer. Le fait est que je suis ici pour rapprocher nos deux radeaux a la dérive, pas pour la faire couler, car a plusieurs on est plus fort. Pas que je sois faible ou en détresse, que j'ai besoin de soutien ou de compagnie, mais elle, elle a l'air d'en avoir besoin. C'est pour dire, malgré mon insensibilité et mon problème de sociabilisation, je l'avais remarqué, elle. Alors pourquoi aurais-je voulu la vexée alors que c'est la première fois que je lui parle.. Un détail m'avait échappé.
Et je m'en voulais a nouveau, je venais de l'ensevelir sous des questions auxquelles elle ne pourra surement pas répondre.. Je n'ai vraiment aucun tact, comment allait-elle faire pour m'aider a savoir ce que j'ai demandé hein, elle allait faire une fresque gigantesque et devenir l'artiste numéro 1 du bloc ? Non mais sérieusement qu'est-ce que j'ai dans la tête. Elle va rigoler c'est sûr, rigoler de ma stupidité et s'en aller a nouveau faire son travail.. C'est ce qu'elle devrait faire. S'il te plait fait ça, et je n'aurai plus a supporter la honte qui pèse au fil de mes mots de plus en plus lourd sur mes épaules.. Rigoles, tournes moi le dos et ne revient jamais, c'est ce qu'il y a de mieux a faire dans cette situation, il n'y a pas d'autres solutions, j'ai été con, j'ai tout foiré, finalement je ne pourrai peut-être pas l'aider de la manière dont elle a besoin, j'ai voulu jouer le bon Samaritain alors que je ne suis qu'un ermite de pacotille, un homme sans amis, sans familles, sans attaches, on ne vient surement pas parler a une personne comme ça, on ne lui déballe pas sa vie quand elle nous demande si peu de chose.. j'ai du l'effrayer c'est sûr. Mais depuis quand je doute de moi, pourquoi je me préoccupe de l'avoir vexée, c'est pas dans mon cœur, la culpabilité, les remords et les regrets ne sont pas censé m'atteindre, toutes ces émotions sont pour les faibles d'esprit, les gens lambda, ceux qui se préoccupent d'un rien et se font un sang d'encre pour une chose qui n'est pas rangée là ou elle le devrait, je ne fais pas parti de ces gens là. Alors elle est vexée ou effrayée, tant pis pour elle, je ne vais pas me prendre la tête avec ça.
Mais contrairement a tout ce que j'aurais pu imaginer, elle s'approcha de moi, me saisi là main et s'accroupit pour dessiner sur le sol. Elle m'avait pris la main, vous vous en rendez compte ? Et je n'avais rien dit, rien fait, j'aurai pu retirer précipitamment ma main et l'insulter copieusement, mais je n'en avait pas envie, ça ne m’étais pas venu a l'idée. Après tout, elle était si simple, si douce que je ne l'imaginais pas une seconde vouloir faire quelque chose de négatif, mais elle a eu de la chance que je pense tout cela d'elle, car quiconque normalement me touche en ressort avec un œil au beurre noir. Mais elle, c’était pas pareil, et puis, un sens la parole lui manquait, alors elle compensait avec l'audition, l'odorat et le toucher, du moins j'imagine. J'avais compris les choses comme ça, et je me laissais donc faire, m'accroupissant a ses cotés. L'impression qui était mienne a ce moment, fut celle d'un parent observant les dessins de ses enfants, coloriant et dessinant un peu au hasard, d'une main peu habile, des bonhommes patates et des maisons carrée sur une feuille de papier froissée. Mais elle, elle n’était plus une enfant, et malheureusement elle dessinait car c’était son seul moyen d'expression, ce qui était a la fois triste et attendrissant. C'est pourquoi j'esquissais même un sourire, si mes souvenirs sont bon, car cette rencontre est si différente des autres, si folle, si changeante pour moi, que les détails pourraient m’échapper, je ne suis plus moi a ce moment là, Ragnard le sauvage a laisser sa place a quelqu'un d'autre, quelqu'un qui pouvait s’intéresser a une personne, et ne lui vouloir que du bien, comme si j'avais recueilli une hirondelle blessée, j'allais la soigner et m'en occuper jusqu'à ce qu'elle puisse reprendre son envol, du moins si j'y arrive, et ainsi un jour l'oiseau silencieux pourra reprendre un vol paisible.
Elle s’assit en tailleurs sur le sol terreux, saisi un bout de moi et se mis a dessiner. Elle trouva a sa façon et grâce a son imagination un moyen de répondre a mes questions d'une manière concise, ça allait vite dans sa tête, elle n'a pas eu longtemps a réfléchir. Elle dormait donc dans le dortoir, elle était timide.. Pourquoi cela ne m’étonnais pas ? Au moins, sans la parole elle n'avait plus a utiliser l'excuse de ne pas oser parler aux gens vu qu'elle ne le pouvait pas, on va dire que c'est surement le seul coté "positif" a son handicap. Mais je l'avais senti timide, quand elle a saisi ma main, elle était hésitante, presque tremblante, comme si elle avait peur que je l'envoie balader, mais était-ce l'impression que je lui donnait depuis le début, celle de la grosse brute opaque ? J’espère pas. Elle avait donc l'habitude de s'occuper des animaux, et au vue de son comportement, les animaux devaient être ravis. Mais les deux mots qui suivirent, m'intriguèrent déjà plus . " amis " et " Ennuis " . Comme si elle avait beaucoup d'amis, mais aucun ennui .. Soit elle me ment, soit je suis nul en observation, mais ce serait cocasse pour un trappeur. Car ce que j'ai remarqué depuis son arrivée et les choses que j'ai entendu se résume plutôt au contraire de ce qu'elle a dit. Mais pourquoi elle voudrait me mentir ? Après tout, si , effectivement, on ne se connait pas, et elle n'a pas envie que je la catalogue comme une fille non fréquentable et seule. Mais ce n'est pas moi que ça va déranger tout ça, je ne suis pas dans les préjugés, les aprioris, car après tout, c'est moi Ragnard l'ermite, le solitaire que personne n’apprécie !
Mais avant que je puisse en caser une et demander des explications, ou des précisions du moins, une poule s'interposa entre nous deux d'un trottinement plutôt tranquille comme pour montrer qu'elle était là. Après tout c'est normal, je monopolisais leur nourrice, elle qui s'occupait si bien d'eux, il aurait été triste qu'elle les abandonne, alors les animaux se faisaient entendre . Mia souris et attrapa la poule, deux choses m’étonnaient. La première est son sourire, je ne pensais pas qu'un simple mouvement des zygomatiques comme elle venait de le faire aurait pu me ramollir encore plus que je ne l’était déjà, je ne pu donc pas m’empêcher de sourire un retour. J’étais niais . Et la deuxième fut que la poule se laissa attrapée, depuis quand les poules se laissent attraper ? Normalement c’était plus un défis qu'autre chose, courir après une poule pendant de longues minutes jusqu’à réussir a la coincer dans un coin et enfin l'attraper, mais elle, avec une grande douceur avait juste eu a tendre les bras. J’étais en train de me dire qu'il était temps de réprimer le sourire que j'avais sur le visage, car ce ne me représentait pas, je ne suis pas quelqu'un de souriant, je suis quelqu'un de triste et renfrogné, jamais mes joues ne se contractent. Mais elle me prit de court encore une fois, elle me tendit la poule, comme un cadeaux, un léger rire s’échappa de ma bouche, je crois que je ne me souvenais même plus a quoi ressemblait mon rire, au point que je me surpris moins même, puis je saisi la poule, m'assis en tailleur comme l’était mon interlocutrice et commençais a caresser la pondeuse. Encore combien de fois cette petite chose sans voix allait elle pouvoir me surprendre, quelles ressources merveilleuses se cachaient en son fort intérieur ? Je ne sais pas, mais je voulais le savoir. Un sourire béat s’était installé sur mon visage, que je réussi difficilement a réprimer. Mais une fois fais, je pu enfin parler.
"Punaise, t'en as encore des comme ça ? Tu m'as surpris, on m'avait jamais offert une poule ! On m'avait jamais rien offert d'ailleurs, mais va falloir que je te la rende, sinon tout le bloc va être jaloux. Je lui fis un clin d’œil . Bon, et maintenant va falloir que tu arrêtes de me raconter des conneries hein, madame j'ai plein d'amis et pas d'ennuis. Tu sais, je suis trappeur, je sais observer, je sais écouter. Et si je suis venu ici te rencontrer c'est parce que j'avais entendu des choses pas belle, que tout le monde ne te considérait que comme une muette. Tu ne m'en voudra pas, mais j'ai pas entendu une chose de positif sur toi. Alors, arrêtes de me mentir. Tu sais, je te veux que du bien, je sais pas si t'as remarqué mais tu m'as fait sourire, on devrait te donner une récompense pour ça, car je suis sûr que plein de blocards auraient dit que trouver la sortie du labyrinthe est plus simple que de me faire sourire. Alors, s'il te plait, ne me ment pas, je ne te veux aucun mal, c'est tout le contraire. Je sais même pas pourquoi je te dis ça, pourquoi je pense ça, mais c'est vrai. Oui tu me fais de la peine, du moins au début c'est ce que je me disais, mais maintenant, j'ai surtout envie de t'aider, parce que tu as l'air d'être une personne bien. Alors, les ennuis ? Les amis ? Tu vas enfin me dire la vérité ? J'suis pas con tu sais, et de toute façon même a l’écrit et en faisant des dessins tu sais pas mentir, tes yeux sont transparent, on voit dans ta tête. "
ET VOILA PUTAIN ! Je venais encore de parler pendant 15 ans, et de raconter ma vie, de dire ce que je pensais. Mais il m'arrive quoi ? C'est quoi mon soucis ? Pourquoi je fais ça ? Pourquoi je lui pose pas simplement des questions ? J'ai juste a lui demander qui la fait chier, je vais distribuer des baffes et c'est bon, alors que là il nous manque plus que du thé et des petits gâteaux pour agrémenter la discussion. Non mais sérieusement, je ne suis pas moi, qu'est-ce qu'il se passe ? Ainsi je laissais s’échapper la poule qui vint a mon grand étonnement, se blottir sous le bras de Mia. Cette fille est une sorcière c'est sûr, elle utilise ses pouvoir pour attirer l'affection des gens ! A cette pensée mes traits s'adoucirent, et je du lutter très fort pour ne pas sourire.
A mon grand étonnement il avait accepté de bien vouloir prendre la poule avec lui. Je m’attendais à ce qu’il la repousse avec une mine renfrognée ou qu’il décide soudainement de retourner dans la forêt. Mais rien de tout ça, il la prit avec lui et cela le fit même rire ! Je ne m’étais donc pas trompé, les animaux étaient vraiment magiques. J’observais son visage souriant avec satisfaction, il n’avait vraiment pas l’air de souvent montrer son rire ou son sourire, ils n’étaient pourtant pas affreux à voir ou à entendre. Je me demandais bien pourquoi d’ailleurs… Pourquoi se renfermait-il ainsi ? Pourquoi voulait-il absolument paraître pour une armoire à glace face aux autres ? Peut-être que s’il s’ouvrait un peu plus comme il le fait face à cette petite poule les gens l’apprécieraient plus.
Mais je me disais que ce n’était pas totalement de sa faute, les blocards avaient l’habitude de juger sans même essayer de comprendre. Et j’avais faillis faire partie de cette catégorie là, j’avais eu raison d’ouvrir un peu plus mon esprit et d’écouter ses mots jusqu’à la fin. Qu’est-ce qu’il se serait passé si j’avais décidé de le repousser ? Si je l’avais mis automatiquement dans la même boîte que ces bâtisseurs ou ce cuistot ? Ça aurait été très bête de ma part, comme quoi juger avant de connaître ne sert vraiment à rien mis à part gâcher des choses.
Et soudain son sourire disparut. Que s’était-il passé ? La poule l’avait griffé ou mordu ? J’inspectai ses mains mais je n’y trouvais pas de blessures et l’animal se tenait tranquillement entre ses doigts. Son visage s’était refermé si brusquement que cela m’inquiétait. Alors que je me préparai à lui demander ce qui n’allait pas, il commença à parler.
"Punaise, t'en as encore des comme ça ? Tu m'as surpris, on m'avait jamais offert une poule ! On m'avait jamais rien offert d'ailleurs, mais va falloir que je te la rende, sinon tout le bloc va être jaloux. Je lui fis un clin d’œil . Bon, et maintenant va falloir que tu arrêtes de me raconter des conneries hein, madame j'ai plein d'amis et pas d'ennuis. Tu sais, je suis trappeur, je sais observer, je sais écouter. Et si je suis venu ici te rencontrer c'est parce que j'avais entendu des choses pas belle, que tout le monde ne te considérait que comme une muette. Tu ne m'en voudra pas, mais j'ai pas entendu une chose de positif sur toi. Alors, arrêtes de me mentir. Tu sais, je te veux que du bien, je sais pas si t'as remarqué mais tu m'as fait sourire, on devrait te donner une récompense pour ça, car je suis sûr que plein de blocards auraient dit que trouver la sortie du labyrinthe est plus simple que de me faire sourire. Alors, s'il te plait, ne me ment pas, je ne te veux aucun mal, c'est tout le contraire. Je sais même pas pourquoi je te dis ça, pourquoi je pense ça, mais c'est vrai. Oui tu me fais de la peine, du moins au début c'est ce que je me disais, mais maintenant, j'ai surtout envie de t'aider, parce que tu as l'air d'être une personne bien. Alors, les ennuis ? Les amis ? Tu vas enfin me dire la vérité ? J'suis pas con tu sais, et de toute façon même a l’écrit et en faisant des dessins tu sais pas mentir, tes yeux sont transparent, on voit dans ta tête. "
Je ne pus retenir un sourire à ses première paroles, c’est vrai qu’il y avait très peu de gens qui s’amusaient à offrir des poules, et ce clin d’œil, j’avais vraiment l’impression que lentement il se transformait en une autre personne. Et c’était vraiment que du positif, s’il devenait plus sociable les gens l’aimeraient sûrement davantage et lui offriraient plus de cadeaux. Mais d’un autre côté ce ne serait plus vraiment lui, sa solitude ne semblait pas lui déplaire, au contraire. Je ne pouvais pas me permettre d’intervenir comme ça dans la vie de quelqu’un et de tout bouleverser.
Mais mon sourire se dissipa rapidement à l’écoute du reste de ses paroles. Il défit son emprise autour de la poule et celle-ci vint se loger entre mes bras. Je ne savais pas comment réagir, je me contentais de fixer la petite boule blanche tout en sentant mes joues prendre feu. J’avais vraiment était bête de croire que mon mutisme m’aiderait à mieux mentir. Je pensais que le fait de ne pas parler éviterait à ma voix de trembler lorsque je mentirais mais j’avais complètement délaissé le fait que mon regard pouvait me trahir. Mes doigts se mirent alors à tambouriner la terre, et voilà que cet affreux tic refaisait surface. Il m’arrivait souvent de voir mes doigts se mettre à tapoter quelque chose lorsque j’étais mal à l’aise ou gênée. Je me trouvais si prévisible.
La poule poussa un petit cri avant de s’échapper, je l’avais effrayé, les animaux ressentaient les émotions des gens qui les entourent. Je devais sûrement être ridicule, qu’est-ce qui m’avait fait croire une seule seconde qu’il avalerait ce mensonge ? A cet instant, j’avais juste envie de partir me cacher dans un trou de souris. Je m’étais prise au piège toute seule et maintenant je lui devais des explications. Que m’arrivait-il ? Je devais me reprendre, la vérité… Que la vérité, me dis-je avant de me gifler intérieurement.
Je dégageai derrière mon oreille une mèche me bloquant la vue puis m’emparai à nouveau du bâtonnet de bois. J’inspirai longuement afin d’aider mon visage à reprendre sa couleur d’origine, j’avais tellement honte, puis barrai « amis » et entourai « ennuis ». Sous l’ovale que je venais de créer je tirai une petite flèche pointant sur « surnom ».
Lorsque j’observais ce petit schéma je me rendis compte des choses, il me rappelait la dure réalité que je devais affronter, il me rappelait toutes les difficultés que me fournissait mon handicap. Je déglutis difficilement, la boule qui me nouait déjà la gorge sembla s’enflammer, je voulus crier, essayer de la faire sortir mais il me l’était impossible. Et voilà que la dernière petite bulle qui me protégeait venait d’éclater, au final j’allais encore passer pour une petite misérable. N’allais-je donc jamais devenir forte ?
Et pourquoi disait-il vouloir m’aider ? Je ne pouvais rien lui offrir en échange mis à part quelques dessins inutiles. Il me connaissait à peine, de plus tout ce qu’il avait entendu sur moi était négatif alors pourquoi ? N’aurais-je pas dus le repousser au contraire ? J’eus l’impression que ma tête allait imploser, je ne savais comment obtenir toutes ces réponses. Il m’aurait fallu une éternité pour tout écrire mais alors ma main se remit à bouger d’elle-même et en à peine quelques secondes un énorme « pourquoi ? » avait remplacé tous les autres mots. Sans que je ne demande rien ma main avait réussi en un seul mot à résumer toutes mes pensées, le brun n’allait sûrement pas comprendre ce que cela signifiait et à vrai dire je ne comprenais pas vraiment non plus ce qui se passait à l’intérieur de ma tête.
Lorsque je relevai les yeux le soleil commençait déjà à descendre à l’horizon. Tout s’écoulait trop vite. Une silhouette semblait s’approcher des enclos, je plissais légèrement les yeux et reconnus les traits durs du cuistot que j’avais croisé un peu plus tôt. Il s’arrêta à une distance d’environ douze mètres avant d’agiter ses bras et d’hurler en notre direction.
- Hé ! La Muette, dépêches-toi de ramener des œufs et du lait !
A ces paroles, je sentis ce mal qui me rongeait grandir un peu plus mais je tentais de garder une mine calme, comme à mon habitude.
Apparemment j'avais réussi a l'atteindre un peu, et ce que je dis lui fit plaisir. C'est fou comme on peux parvenir en quelques mots a faire sourire quelqu'un. Cette expression est pourtant une ouverture sur l'esprit, sur la personnalité, sur l'humeur et les sentiments car un sourire honnête est reconnaissable entre milles sourires forcés, mais il est un faille. Voilà pourquoi j'essaie de proscrire le sourire de mes habitudes, il est une porte ouverte vers le cœur, et quiconque peut te faire sourire peut aussi de faire souffrir. Mais voir le sien, son visage s'illuminait, me faisait presque autant de bien que si je le faisais moi-même, c’était comme regarder .. Un coucher de soleil, ou un chaton essayer d'attraper sa queue, vous voyez cette sensation de bien être et de joie qui s'empare de vous quand vous assistez a ces scènes ? Et bien c'est ce que je ressentais a cet instant, et ça faisait très longtemps que ce n'étais pas arrivé, elle venait, encore une fois, d'exercer un tour de magie digne des plus grand. C'est pourquoi je lui repondit par un sourire honnête, et un hochement de tête, comme pour la remercier dès maintenant d'être là et de m'avoir apporté un cout instant d'envie de vivre.
Mais je l'avais aussi touché, car au moment ou j'ai abordé ses mensonges, son sourire s'est dissipé. Elle n'était pas en train de s'énerver, ce qui en soit me faisait plaisir car la mauvaise foie ne faisait donc pas parti de ces habitudes. Elle était .. gênée, oui, gênée de ma découverte du pot aux roses. Son visage se crispa en sorte, et son teint devint angoissé. Elle ne voulait pas en parler, mais elle n'allait pas y échapper après tout, je n'allais pas l'abandonner de si tôt. L'ambiance devint comme lourde, et son teint blafard, apparemment, elle essayait de jouer les costaud qui ne craignent rien, mais cela ne marchait pas avec moi, et elle trahissait elle même son stress en tapotant ses doigts a répétition sur le sol, une sorte de tic nerveux. On a tous des tics, il suffit juste de savoir les contrôler, ou de stresser pour rien. Même la poule sentit la vague d'émotions traverser la belle inconnue et s'enfuit en caquetant. Mais il est vrai qu'elle n'avait pas une raison de stresser, je lui avais dit ce que j'avais sur le cœur, et si elle m'avait connu de réputation, elle aurait su que c'était une chose qui avant m'était impossible, ne serait-ce qu'aller voir quelqu'un par choix et non par obligation. Mais en tout cas, si elle n'avait pas compris qu'elle pouvait compter sur moi et que je ne lui ferai jamais aucun mal, elle le comprendrai avec le temps.
Ainsi elle commença tout de même a me répondre, malgré la tempête intérieure qui la secouait. Elle saisit le bâton, se recoiffa, et dessina quelque chose a laquelle je m'attendais, mais qui me fit tout de même un pincement au cœur. J’étais toujours assis près d'elle, dans la terre, quand elle inversa ce qu'elle avait fait au début: Elle barra le mot amis, et entoura le mot ennuis. C’était sûr, prévisible, mais affligeant. Ce n'est pas le fait qu'elle n'ai pas d'amis ou qu'elle ai des ennuis qui m'affligeait, mais le fait que certaines personnes gâchent la vie a cette petite boule d'amour qu'elle est, une bulle plutôt, rempli d'amour et de gentillesse, mais si fragile. Et si quelqu'un en venait a vouloir la percer, il aurait affaire a moi. Et bien sûr, elle m'indiqu'a la cause de son mal-être, enfin, de ce qui appuyait dessus, son surnom. Mais ces temps là allaient changer, et je ne laisserai personne l'appeler Muette en ma presence, puis de toute façon les gens se rendront compte au fur et a mesure du temps qu'elle n'est pas que ça. Et Mia conclut sa fresque par un grand "Pourquoi ? " recouvrant tout les anciens dessins.
Je lui pris le bâton délicatement des mains, dessinant dans la terre le mot "ami" et inscrivant une fleche qui allait vers moi. Puis les mots "ennuis" et "surnom" venaient s'ajouter a coté, et je m'empressais de les barrer. J’essayais d'adoucir les train de mon visage, et de faire en sorte que mes sourcils ne soient pas froncés comme a leur habitude, je la regardais droit dans les yeux et lui dit
-Voila, maintenant tu as un ami maintenant, c'est moi, enfin si tu le veux bien. C'est fini les moments ou t'es toute seule, toute triste, je suis là maintenant, tout le temps. Enfin, tant que je suis pas dans le labyrinthe. Mais tu peux venir me voir quand tu veux, on peux discuter quand tu veux. J'suis là tu sais, pour toi. Parce que t'es une personne vraiment sympa. Et les ennuis, c'est fini. Arrêtes d’écouter les gens qui n'ont pas d'importance, l'important c'est ce que toi tu penses de toi, et l'opinion des autres, on leur met dans le .. enfin bref. Et "Pourquoi ?" Qu'est-ce que ça veux dire ça ? Pourquoi je fais ça ? Si c'est ce que tu veux dire, je vais te répondre tout simplement : Depuis que je suis assis ici, je passe mes meilleurs moment en 8 mois de bloc.
Tout ce passait bien, et ça faisait un moment que l'ambiance était agréable. Mon humeur était au beau fixe, et j’espérais, par ma tirade, embellir la sienne. Mais tout devint noir dans ma tête quand j'entendis la voix du cuistot appeler au loin dans mon dos :
- Hé ! La Muette, dépêches-toi de ramener des œufs et du lait !
La partie civilisée de ma personnalité qu'elle venait de faire apparaître s'envola comme si elle n'avait jamais été là, je serrais mes dents, les faisant grincé, si j'avais été en face de moi j'aurai vu une flamme a l'intérieur de mes iris, et sans même prêter attention a quoique ce soit dans l'environnement, je me levais. Mes jambes prirent feux, j'étais comme propulser, comme si une tempête soufflait dans mon dos pour me faire courir plus vite, je sautais par dessus la barrière de l'enclos, j'étais a l'extérieur maintenant, et le gros lard de cuistot était a 3 mètres devant moi, je pris de la vitesse, le vent soufflait sur mes tempes, mes poings étaient crispé, le gout du sang venait emplir mon palais au vue de la force avec laquelle je mordais mes joues, et je me jetais sur lui. Il tomba facilement vu son gabarit de porc et ma vitesse de course. L'attrapant par le col et lui mettant mon genoux sur la gorge, je lui dis clairement
-Oui, elle va faire son travail et t'apporter ce dont tu as besoin, mais son putain de prénom, c'est MIA, T'ENTENDS ESPÈCE DE GROS SAC A MERDE ? Alors si tu prévois de l'appeler encore une fois "La muette" , fait en sorte de bien manger le midi, car ça aura été ton dernier repas.
J’observais cet énorme « pourquoi » sans vraiment comprendre ce qu’il signifiait. Et alors que je restais là à fixer ce mot, le bâton s’échappa de mes doigts, pendant un instant je crus l’avoir fait tombé mais cette pensée disparut lorsque je vis Ragnard se mettre à écrire à son tour. Que pouvait-il bien tracer ? Lentement un schéma se dessina face à lui, une flèche le désignant était reliée à quelques mots, « ami », « surnom » et « ennuis ». Les deux derniers étaient barrés ce qui ne put que me procurer une immense joie. Pour la première fois depuis mon arrivée au Bloc j’avais l’impression de respirer, le nœud qui m’étouffait semblait avoir disparu. Puis j’aperçus que son visage paraissait changé, il était moins sévère et dur, oui, il était plus doux. Puis il brisa le silence qui s’était installé depuis plusieurs minutes :
-Voila, maintenant tu as un ami maintenant, c'est moi, enfin si tu le veux bien. C'est fini les moments ou t'es toute seule, toute triste, je suis là maintenant, tout le temps. Enfin, tant que je suis pas dans le labyrinthe. Mais tu peux venir me voir quand tu veux, on peux discuter quand tu veux. J'suis là tu sais, pour toi. Parce que t'es une personne vraiment sympa. Et les ennuis, c'est fini. Arrêtes d’écouter les gens qui n'ont pas d'importance, l'important c'est ce que toi tu penses de toi, et l'opinion des autres, on leur met dans le .. enfin bref. Et "Pourquoi ?" Qu'est-ce que ça veux dire ça ? Pourquoi je fais ça ? Si c'est ce que tu veux dire, je vais te répondre tout simplement : Depuis que je suis assis ici, je passe mes meilleurs moment en 8 mois de bloc.
A ce moment plusieurs émotions se bousculèrent en moi, à la fois la joie et le regret. Il venait de casser tous les malheurs qui me perturbaient depuis mon arrivée, en une simple phrase il m’avait comme guérie, soigné tous les maux qui me faisaient souffrir. Grâce à lui j’allais peut-être pouvoir vivre à l’intérieur du Bloc ? Oui, mes jours au sein du Bloc étaient un peu comme une punition pour moi. Chaque jour était une sorte de nouvel enfer à surpasser, supporter les moqueries sans pouvoir réagir, retenir ses larmes et en plus de ça rester seul sans pouvoir se confier. Mais il avait raison, c’était terminé. Mais c’était aussi la première fois que je regrettais autant de ne pas pouvoir parler, même si on comprend à peu près ce que l’autre veut dire, tout reste compliqué. Etais-je muette avant d’arriver ici ? Je ne le saurais sûrement jamais. Et d’un autre côté si je n’étais pas muette et que certains blocards ne se moquaient pas de cet handicap on ne se serait jamais vraiment rencontré. Je n’aurai jamais pensé que mon mutisme m’aurait permis d’avoir un ami. Ami, ce mot me paraissait totalement étranger.
C’est vrai qu’il était trappeur… Il devait souvent se rendre à l’intérieur du labyrinthe sans vraiment savoir s’il en ressortirait entier ou vivant. J’avais horreur de voir les coureurs et trappeurs partirent dans le labyrinthe, même si je ne les connaissais pas ça me mettait une boule au ventre toute la journée. Et chaque crépuscule j’attendais patiemment leur retour dans mon coin, toujours avec l’espoir qu’ils aient trouvé une sortie et la peur que l’un d’eux ne soit blessé.
Puis il répondit à mon fameux « pourquoi ? » qui n’avait pas de sens mais il parvint à en trouva un. Depuis le début de notre rencontre je l’avais vu « évolué », d’abord il avait entamé une conversation, il avait sourit, il avait rit et maintenant il m’avait proposé d’être mon ami. Soudain je me rappelai d’une discussion entre deux blocardes que j’avais entendus, elles parlaient d’un « homme de la forêt » qui était désagréable, froid, insociable… Ah, et violent. Si elles parlaient du garçon qui se tenait en face de moi, elles faisaient définitivement fausse route. Son physique plutôt imposant renvoyait certes cette image mais quand on apprenait à le connaître il n’était pas du tout ainsi. Du moins, avec moi, il s’était montré si attentionné et à l’écoute, enfin façon de parler.
Et alors la voix du cuistot vint perturber l’atmosphère tranquille qui régnait dans les enclos :
- Hé ! La Muette, dépêches-toi de ramener des œufs et du lait !
Mon sourire s’effaça rapidement, je posai mes yeux sur le garçon assit en face de moi, ses traits s’étaient crispés et son regard assombrit, une étincelle de colère y brillait vivement. Je sentis alors que quelque chose de mauvais allait se passer. Un mouton bêla et sans que je ne m’en rende compte Ragnard était déjà en train de courir vers le cuisinier. Je me dressai sur mes pieds tandis que le trappeur venait tout juste de sauter la barrière. Il était vraiment rapide, en même temps s’il ne l’était pas le labyrinthe l’aurait sûrement tué. A mon tour je me mis à courir, j’avoue avoir eu un peu de mal à aligner deux pas à la suite, ce devait être la première fois que je courais depuis mon arrivée. Lorsque j’arrivais à la barrière de bois j’étais déjà à bout de souffle, contrairement au brun je préférais emprunter la petite porte et ne pas tenter de me ridiculiser. Puis un bruit sourd retentit tout autour des enclos, le cuisinier venait de chuter. Je sursautai et grimaçai en imaginant la douleur qu’il aurait put avoir. Le trappeur le surplombait tout en le maintenant à terre. Je me mis à courir vers eux quand la voix de Ragnard surpassa les gémissements du cuistot :
-Oui, elle va faire son travail et t'apporter ce dont tu as besoin, mais son putain de prénom, c'est MIA, T'ENTENDS ESPÈCE DE GROS SAC A MERDE ? Alors si tu prévois de l'appeler encore une fois "La muette", fait en sorte de bien manger le midi, car ça aura été ton dernier repas.
Sans trop réfléchir, j’attrapai Ragnard par le bras et dans un dernier effort le tirai de toutes mes forces, aussi minimes soit-elles, afin de le détacher du cuistot qui affichait une mine terrifiée. Je repoussai doucement le trappeur en arrière, tentant de mettre le plus de distance possible entre lui et le cuisinier. Si la milice nous voyait on aurait sûrement de gros problèmes, et je ne souhaitais cela ni pour Ragnard ni pour le cuisinier. Mais lorsque je me retournai le cuistot s’était déjà enfui vers ses cuisines. A mon tour je reculai de quelques pas sans toute fois détacher mes yeux de Ragnard. Que lui était-il arrivé ? Je sais qu’il avait sûrement dut agir ainsi pour moi mais… Il était totalement devenu déchaîné, j’avais même eu peur pour le cuisinier pendant un court instant. Je n’avais jamais vu cette partie de lui, avait-il d’autres facettes comme celle-ci ? Je ne préférai pas le savoir pour le moment. Mais je ne lui en voulais pas, il l’avait fait dans mon intérêt, du moins je pense.
Lorsque j’eus repris mon souffle, je secouai la tête de droite à gauche, il ne devrait pas être aussi violent, pas quand il avait la possibilité de parler. Je pointai alors mon index vers son visage puis mimai avec ma main une bouche en train de parler. Je devais sûrement paraître ridicule mais au moins je savais qu’il allait comprendre. A la fin je lui souris tout de même en hochant la tête pour le remercier. Avant tout il m’avait défendu.
Qu'est-ce qui venait de se passer, qu'est-ce que je faisais là, a cheval sur le cuistot, le genoux sur sa gorge.. Il se débattait, transpirant, rouge, asphyxié, et c'était moi la cause de tout ça, comment est-ce que j'en étais arrivé là ? C'était comme un trou noir, une absence furieuse qui avait pris possession de ma tête, de mes yeux, de mes mouvements, une sorte de déclic, un mise en veille.. Un pilote automatique qui m'avait guidé droit sur ma cible, et je l'avais atteinte. La dernière chose dont je me souvenais, c'était le regard de Mia perçant le mien, et là, en une seconde j'étais sur le point de tuer une personne, pour une parole, pour une remarque, car oui ça me revenais, il l'avait juste appelé la muette, pourquoi j'avais réagis ainsi ? Depuis quand est-ce que je défend la veuve et l'orphelin, qui étais-je en train de devenir ? M'avait-elle changé ? Rien n'était moins sûr, car jamais Ô grand jamais je n'aurais attaqué quelqu'un pour une parole. Le premier coup ne doit jamais être donné contre une autre personne, seule la riposte est autorisé, c'est mon code moral, et là, j'avais mis le premier coup pour une remarque qui ne m'était pas destiné. Le gout du sang était encore sur mes papilles, je m'étais mordu les joues si fort, et mes poings étaient si serré. Je revint a la réalité quand elle me saisi le bras.
Je partais en arrière, me redressais, elle, le paysage défilait sous mes yeux, comme un film au ralentit, les arbres, les murs, la cuisine, et ce gros porc de cuisinier ce relevant. Puis le regard de Mia, elle était terrifiée. Ses yeux étaient écarquillés et remplis d'incompréhension, la même qui remplissait ma tête. Elle me poussait, encore et encore en arrière, était-ce de l'énervement, de la rage, de la honte qu'elle voulait exprimer ? Car une personne normale aurait crié ce qu'elle ressentait, m'aurait exprimé son ressenti, ses impressions a chaud, aurait fait sortir tout les sentiments qui s'étaient mis a bouillonner en elle, mais parler, crier, ça elle ne le pouvait pas. Une fois éloigné du lieu ou la scène s'était produite, nous allions pouvoir avoir des explications, car je pense que je lui en devait Elle du reprendre son souffle, apparemment l'évènement l'avait tout aussi atteinte que moi, mais d'une manière différente, elle semblait bouleversée désorientée, perdue. La honte commençait a monter en moi, le regret de cette action, de cette spontanéité sauvage, de cette instinct irréfléchi m'ayant possédé .. c'était mon caractère qui était ressorti, ma nature primaire qu'elle avait pourtant réussi a atténuer, a faire quasiment disparaitre le temps d'une discussion, mais chassez le naturel et il revient au galop.
Elle s'éloigna de plusieurs mètres, avait-je brisé le lien qui commençait a nous unir depuis le début de notre conversation ? Je ne la connaissais que depuis peu de temps, mais le bien qu'elle m'avait fait était magique, la sensation d'utilité qu'elle me faisait ressentir, grâce a elle je devenais quelqu'un d'autre que celui que j'étais : Autre qu'un bout de viande qu'on jetais dans la labyrinthe tout les matins, j'avais un objectif, je savais que je verrai dès maintenant un soleil brillant jour et nuit a l'intérieur du bloc, un soleil sans voix, et je ne voulais pas que cet évènement ne l'éteigne. J'avais été stupide et les choses allaient devoir être réparées, je ferais ce qu'il faut pour les réparer, du moins si c'est possible, car je venais d'exécuter quelque chose a laquelle elle n'étais même pas capable de penser : La violence. Elle était bien trop gentille, bien trop calme, bien trop.. elle. Elle était un savant mélange de douceur, d'écoute et de compréhension, elle était une potion de vie qu'on a envie de boire jusqu'à la lie.
C'était évident, elle désapprouvait, elle tourna la tête de droite a gauche pour me le faire comprendre, me montra ses lèvres et mima des paroles. Si je n'avais pas été dans cet état de culpabilité, j'aurai sûrement ris, j'aurais sûrement été touché par son geste, mais je baissais simplement les yeux vers le sol, regardant mes pieds. oui, il fallait que je parle, que je réfléchisse avant d'agir, que je ne sois pas instinctif et violent, je ne la garderai pas près de moi si je continuais comme ça. Elle ne voudrait pas de mon aide, de ma présence si j'étais aussi contraire a ses principes. Je me mit a faire les 100 pas devant elle, de sa droite a sa gauche, lentement, un silence s'était installé depuis bien 2 minutes, je ne savais pas quoi faire, ou quoi dire. Mais il le fallait, alors, après maintes réflexions je dis, me plantant devant elle :
"Je suis vraiment désolé de ce que j'ai fais, je ne voulais pas te faire peur, ou te paraitre.. Je veux pas te perdre tu sais. Ouais on se connait pas depuis longtemps, mais j'ai cette impression qu'on va aller loin tout les deux. Du coup je voulais vraiment m'excuser pour ce que j'ai fais, et si tu me trouves horrible maintenant, je comprendrai. Je vais te laisser du coup .. "
Et je commençais la marche en direction du bois, retournant dans ma forteresse de solitude, d'un pas lent et résigné.
Comment cela était-il arrivé ? Je lui avais expliqué ce que je pensais de ses actes mais cela n’eut pas l’effet que j’avais souhaité. J’avais voulus le rassurer, lui dire que ce n’était pas grave et que l’on faisait tous des erreurs, des choses regrettables. On avait tous un petit côté de notre personnalité qui était difficilement contrôlable. Et alors il baissa la tête vers le sol, les yeux rivés sur ses chaussures. Que se passait-il ? Avais-je fais quelque chose de blessant ? N’avait-il pas compris ce que je voulais lui dire ? Une vague de malaise grimpa soudainement en moi. Il me faisait penser à un petit garçon que l’on venait de punir ou de disputer. J’avais peur de l’avoir enfoncé un peu plus, il paraissait déçu, honteux. Je ne savais pas quoi faire. J’aurais voulus caresser ses mèches brunes comme on le fait à un chaton afin de le mettre en confiance. J’aurais voulus faire tant de chose mais tout me paraissait si loin. Une fois de plus je me contentai d’attendre en silence, j’observais chacun de ses battements de cils en attendant le moindre de ses gestes.
Soudain il se mit à bouger, ses pieds commencèrent à faire des longueurs face à moi. Il réfléchissait, mais à quoi ? Si seulement je pouvais être dans sa tête tout serait sûrement plus simple. Mais la vie à l’intérieur du Bloc n’est jamais simple et je devrais le savoir au bout de quelques temps. Je restais un bon moment à fixer ses allers et venues qui commençaient à me donner le tournis puis il s’arrêta avant de se positionner devant moi. Sur le coup j’avais été surprise, je me demandais ce qu’il allait faire. Me pousser afin de se venger du fait que je l’ai séparé du cuisinier ? Ça ne m’aurait pas étonné. Il ne devait sûrement pas être habitué au contact humain, moi non plus d’ailleurs, et la petite nouvelle se permettait déjà de l’attraper par la main, le bras et même de le repousser afin de l’écarter d’une autre personne. J’étais vraiment idiote parfois.
Mais il ne fit rien de tout ça, non, il ouvrit la bouche et dit :
"Je suis vraiment désolé de ce que j'ai fais, je ne voulais pas te faire peur, ou te paraitre.. Je veux pas te perdre tu sais. Ouais on se connait pas depuis longtemps, mais j'ai cette impression qu'on va aller loin tout les deux. Du coup je voulais vraiment m'excuser pour ce que j'ai fais, et si tu me trouves horrible maintenant, je comprendrai. Je vais te laisser du coup .. "
L’important dans tout ça c’est qu’il s’en voulait d’avoir agit ainsi. C’était bien qu’il prenne conscience de ses actes et les juge par lui-même, ça me prouvait qu’il avait tout de même conscience d’avoir fait quelque chose de mauvais. Il disait ne pas vouloir m’effrayer ni paraître pour… Il ne finit pas sa phrase. Paraître pour un quoi ? Un animal sauvage ? Un garçon violent ? Un tas de muscle sans cerveau ? Non, je ne voulais pas qu’il pense que je le vois ainsi. Pour moi, dans cette situation, il avait agit comme un véritable ami devrait le faire. Il m’avait défendu sans penser à lui, sans penser aux répercutions que cela aurait put avoir. Certes il avait eu du mal à se contenir mais je ne pouvais pas lui en vouloir ou le juger. Ce n’était pas à moi de le faire surtout pas quand j’étais la cause de ce malaise.
Puis il continua en disant ne pas vouloir me perdre. J’avais crus mal entendre au début mais non, il l’avait bien dit. Je ne savais pas du tout comment l’interpréter ou même comment réagir, mon tic refit alors surface, tapotant ma cuisse à toute allure. Disait-il tenir un minimum à moi ? Je n’étais vraiment pas habitué à entendre ça et bizarrement le fait que cela sorte de sa bouche me rendait encore plus mal à l’aise. Il disait lui-même être connu pour son manque d’affection à donner et sa solitude. Alors pourquoi me disait-il ça à moi ? Peut être étais-je tout simplement trop réceptive à ce que disent les gens ?
Et le mot horrible s’échappa de ses lèvres. Comment aurais-je pus le trouver horrible ne serait-ce qu’une seule seconde ? Pas même une fois cette idée me traversa l’esprit. Il avait fait un pas vers moi, avait surpassé ses habitudes de trappeur solitaire, avait fait l’effort de rester, de me comprendre et m’avait défendu alors qu’il me connaissait à peine. Etait-ce vraiment possible de détester quelqu’un après ça ? Je ne crois pas. Je ne le trouvais pas horrible, loin de là, je l’avais trouvé sympathique, attachant et à la fois mystérieux, cela me rendait un peu plus curieuse. Cela me donnait envie d’en savoir plus sur lui. Il était un peu comme un grimoire caché au fond d’un grenier, aux pages mystérieuses recelant milles secrets. La fine couche de poussière qui dormait sur sa couverture parut s’effacer un instant et tout paraissait plus net. Pendant un instant j’avais cru le comprendre, cru savoir qui il l’était. Oui, j’avais cru.
Puis vint sa dernière phrase. Celle-ci agit comme une violente décharge électrique. J’avais eus l’impression qu’un taureau m’était rentré dedans à toute vitesse. Instantanément mon souffle se coupa, mes lèvres s’entrouvrirent comme si un son allait en sortir, mais ce fut le calme plat. Je voulus le retenir et alors ma main se tendit vers lui mais celle-ci s’arrêta en plein mouvement, une trop grande distance nous séparait déjà. Le moment que je redoutais depuis le début était arrivé. C’était un peu comme une fin d’histoire qu’on ne désirait pas savoir parce qu’on avait deviné qu’elle nous ferait du mal. Tout sembla s’écrouler autour de moi, les champs de blés disparurent, les rayons lumineux du soleil se teignirent en une couleur obscure, le ciel devint noir et les sons environnants s’éteignirent. Je ne voyais plus que cette silhouette s’éloigner lentement, de plus en plus lointaine. Je n’entendais plus que le bruit de ses pas écrasant les fines herbes. Mais ceux-ci s’atténuèrent à leur tour ne laissant place qu’à un vaste et profond silence. Semblable à celui de la mort. Je l’avais compris un peu plus tôt, j’avais compris qu’en sa présence je respirais, qu’en sa présence je vivais. En si peu de temps j’étais devenu dépendante. Sans que je ne contrôle quoi que ce soit mes pieds se mirent à courir en sa direction, il avait déjà atteint la lisière de la forêt, je savais que c’était fini. J’avais perdu mon premier ami. Alors à cette conclusion toutes forces m’abandonnèrent, je laissais mes jambes s’étendre entre les herbes et je regardais. Je le regardais s’éloigner tel un oiseau de passage qui nous avait procuré un bonheur enfantin mais qui avait brusquement décidé de rejoindre sa maison. Et de peur de le faire s’envoler je n’avais rien fais pour tenter de le garder.