Ah la solitude quand elle nous tiens! J'étais adossé à un mur dans le hall, perdu dans mes pensées comme à mon habitude. J'observai les portes du labyrinthe, de loin, soupirant de temps à autre. Les mains dans les poches, je suivais aussi les mouvements des autres blocards non loin des potagers, autour de leur travaux, s'épuisant à la tâche. D'un côté,je me sentais un peu coupable de ne pas les aider mais de l'autre j'estimais ne pas avoir assez de force pour le moment pour me mettre à travailler. Enfin...Si tout le monde faisait comme moi, on s'en sortirait pas. Il n'était pas passer une seule personne devant moi depuis que j'étais là. Et ca devait faire au moins de deux heures. A vrai dire, à ce moment là précis je mourrais d'envie d'aller dans le labyrinthe, juste histoire de courir sans m'arrêter, juste question de crier,de hurler de toutes mes forces, de taper dans tout ce qu'il se trouve autour de moi..Le mur, les griffeurs, le sol..Juste histoire d'hurler ma douleur et ma peur cachées au plus profond de moi. Crier au monde le plus fort possible, leur demande de l'aide. Juste pour sentir cette lueur d'espoir caresser ma peau, la sentir près de moi, nous illuminer tous, nous rendre plus fort, plus puissant encore. Plus redoutable que ceux qui nous avaient enfermés ici. Je voulais leur montrer que nous n'allions pas nous laisser faire,leur montrer que nous étions et serions toujours là quoi qu'il arrive, même si nous pensions qu'il n'y avait plus que des ténèbres autour de nous. Je fermai les yeux et écoutai le souffle du vent que j'aimais tant. Un souffle calme, bien plus silencieux que le silence lui même, bien plus doux qu'une plume et bien plus léger que du sable. Je m'imaginai à présent sur une plaine..Déserte...Vide...identique de tous les côtés. Je marchai, le visage impassible. J'avançai lentement...Sans m'arrêter, avançant toujours plus loin, toujours à la même vitesse.Personne autour de moi. Seul. Abandonné. Mais au moins, j'étais libre. Libre d'aller ou je voulais sans personne pour m'arrêter. Ici, au Bloc, malgré que l'endroit soit plutôt vaste, je me sentais comme emprisonné dans une cage, m'étant impossible de sortir. Et j'en mourrais. J'en tombais malade. Mais ca devait être le cas pour tout le monde ici. Parfois la nuit, dans mes cauchemars, j'avais l'impression de me noyer, ou d'être enfermé dans une boite minuscule et je me réveillai souvent en pleurs, tentant tant bien que mal de reprendre mon souffle. Je dormais mal la nuit à cause de mes nombreux réveils. Alors il m'arrivait souvent d'aller faire un tour, sans bruit pour ne pas réveiller les autres, marchant dans le Bloc pendant de nombreuses heures, parfois même jusqu'à l'aube.
Perdu dans mes pensées, je sentais des perles de sueurs coulées le long de mon visage et un mal de crâne monstrueux apparaître. Mon souffle s'accélérait. Avant de redevenir fou, je rouvrai les yeux immédiatement et me rendis compte en plus que je pleurais. Mes joues étaient couvertures de larmes brûlantes. D'un geste de la main, je les essuyais et me laissai glisser contre le mur. Puis, j'entendis des pas.Ils se rapprochaient. Ils venaient dans ma direction. Je rabattai ma capuche sur ma tête dans l'espérance que la personne ne m'apercois pas et attendis de voir qui arrivait.
Les vertiges. C'étaient toujours les premiers signes. Lorsqu'il sentait cette douleur perçante dans son crâne et qu'il avait l'impression que le sol tanguait sous ses pieds, il savait. Il savait que ça allait arriver. Et personne n'avait la moindre idée d'à quel point il détestait ça. En cette fin d'après-midi relativement calme, Ethan subissait une de ses crises de panique récurrentes. Il était sagement perché à un arbre, duquel il observait les portes du labyrinthe. Il aurait bien aimé aller courir aujourd'hui. Juste histoire de se dépenser, de se sentir un minimum utile. Mais on avait décrété ne pas avoir besoin de lui aujourd'hui, qu'il était mieux qu'il se repose un peu. Sauf qu'Ethan avait horreur de rester les bras croisés. Cela lui laissait tout le loisir de faire tourner son cerveau à plein régime. De penser à sa vie, à ses souvenirs perdus. A tout ce qu'il ferait pour retrouver la mémoire. Pour pouvoir décoder cette énigme qu'était sa vie antérieure à celle au Bloc. Voilà pourquoi il avait besoin de travailler. Élaborer ses pièges et protéger son coureur étaient son quotidien, ce qui lui permettait de tourner ses pensées vers autre chose que ses problèmes. Et voilà qu'on l'empêchait d'évacuer tout cela. Après être enfin descendu de son arbre, Ethan était resté un moment immobile, le regard posé sur les tombes non loin. Puis, alors qu'il avait voulu se mettre en route pour rentrer au Bloc, il était tombé. Sa main avait violemment heurté le sol, ainsi que son épaule. Les doigts de son autre main pressaient fortement son front, comme si cela pouvait ôter la douleur qui s'y logeait. Mais rien n'y faisait; il souffrait. Sa respiration s'était faite plus rapide et irrégulière. Plus forte aussi. Ses yeux peinaient à rester ouverts. Il avait peur. Mais de quoi ? Il ne saurait le dire. Mais la terreur pouvait se lire dans son regard. Ses mains tremblaient, de plus en plus fort. Et la douleur continuait de le submerger, autant que les vertiges l'assaillaient, le clouant au sol. Finalement, après un long moment -une demi-heure, une heure, une journée ?- il parvint à se relever. La douleur était toujours là, bien installée dans son crâne. Mais, désormais, elle était supportable. Suffisamment pour qu'il puisse marcher en tout cas. Ses pas étaient lents et lourds, la tête lui tournait encore un peu. Mais il parvenait à avancer tout de même, et ça, c'était déjà une satisfaction. Une fois parvenu près de la Cabane, Ethan ôta enfin sa main de sa tempe. Il trembla encore un peu, puis son regard se posa sur une silhouette à quelques mètres. Il croisa le regard du jeune homme, et tenta de sourire. Mais son sourire était faible et crispé. En plissant les yeux, le trappeur put remarquer que la personne face à lui ne semblait pas dans un état meilleur que le sien.
« Ça va ? » demanda-t-il.
Bon, niveau communication, on repassera. Non seulement il paraissait évident que non, ça n'allait pas. Mais en plus, cette question était la dernière à poser au Bloc. Qui donc dans cet endroit allait bien, sérieusement ? Mais bon, Ethan n'allait pas se blâmer; il était nul en relations humaines, et le savait. Il aurait au moins essayer. Si le garçon l'envoyait bouler, tant pis. Il rentrerait bien sagement à l'intérieur pour se remettre progressivement de sa crise. Comme il le faisait toujours.
Evidemment, comme je m'y attendais, la personne se dirigea vers moi. C'était un garçon. En levant légèrement mes yeux, je constatai qu'il n'était pas dans un très bon état non plus. Quand il entame la conversation, je ne répondis pas tout de suite. A vrai dire je n'avais pas très envie de parler mais bon puisqu'il avait fait le premier pas, autant faire le deuxième. Car dans ces moments là, valait mieux se serrer les coudes. J'hochai la tête, doucement.
-Oui oui on va dire que ca va. Et toi ? T'as pas l'air bien, t'as besoin d'aide ?
Je me levai difficilement et m'approcha de lui. Ah non...En effet, lui non plus n'allait pas bien. Son visage était pâle. Vu sa carrure et son visage, j'avais la nette impression que lui aussi était un coureur. Je ne lui avais jamais vraiment parlé, sans doute juste aperçu de loin. Quand je fus à quelques mètres du garçon, je m'arrêtai et le dévisageai, toujours pour savoir s'il était digne de confiance ou pas. Puis je pris de nouveau la parole.
-En fait moi c'est Kalis. Et toi ? T'es coureur c'est ca ? t'as quel âge ? T'es arrivé ici y a longtemps ?
Je m'arrêtai. Puis je riais doucement. Il devait me prendre pour un journaliste maintenant avec mes questions. J'en posai trop. Mais encore une fois, valait mieux être prudent en ces temps difficiles. Je passai une main dans mes cheveux en souriant.
-Oups désolé de poser autant de questions. Tu vas pas bien et je te noie sous mes paroles.
Je lui souris et fixa le bout de mes chaussures, mes mains dans mes poches, attendant sa réponse.
Comme il s'y attendait, Ethan ne reçut pas de réponses provenant du garçon. Bien. C'était prévisible. Non seulement, il avait posé une question débile, mais en plus, il devait avoir une tête de dépité. Mais honnêtement, il se foutait complètement de la tête qu'il pouvait avoir en ce moment-même. Alors qu'il s'apprêtait à entrer dans la Cabane en laissant derrière lui le Blocard silencieux, une voix se fit justement entendre.
« Oui oui on va dire que ça va. Et toi ? T'as pas l'air bien, t'as besoin d'aide ? »
Si Ethan avait eu quelque chose dans la bouche, il se serait sûrement étouffé avec. Besoin d'aide ? Lui ? C'était la meilleure blague du siècle. D'accord, il n'était pas bien. Il avait peur, mal, était épuisé... Mais il n'avait jamais eu -et n'aurait jamais d'ailleurs- besoin d'aide. Plus indépendant que lui, ça n'existait pas. Le jeune homme était sur le point de répondre sarcastiquement, comme toujours. En expliquant bien clairement qu'on ne le trouverait jamais en train de se faire aider par quelqu'un. Mais, au moment où il se tourna vers le garçon, il croisa son regard. Et sa raison lui dicta de se montrer un minimum gentil. Parce que son interlocuteur ne l'avait pas agressé, ou ne s'était pas moqué de lui. Qu'il posait cette simple question pour se montrer sympa. Et qu'il n'y avait aucune raison pour qu'Ethan le rembarre méchamment. Alors, il se contenta de secouer faiblement la tête, prononçant ensuite un simple : "Non merci."
« En fait moi c'est Kalis. Et toi ? T'es coureur c'est ca ? t'as quel âge ? T'es arrivé ici y a longtemps ? »
Par contre, à ce moment-là, Ethan ne put s'empêcher d'écarquiller les yeux. Il avait soudainement l'impression d'être accusé d'un crime et de devoir répondre aux questions avec le plus d'honnêteté. Ce qui ne risquait pas d'être compliqué puisque les questions n'avaient rien de réellement personnel qu'il comptait garder pour lui. Mais tout de même, cela faisait une drôle d'impression. Ledit Kalis sembla se rendre compte de son approche assez directe, et eut un léger rire.
« Oups désolé de poser autant de questions. Tu vas pas bien et je te noie sous mes paroles. »
Ethan contracta légèrement la mâchoire en entendant le blocard dire qu'il n'allait pas bien. Ça, il le savait, pas besoin de le préciser. Mais, il ne pouvait pas lui en vouloir. Il devait vraiment faire peur. Le trappeur n'était pas quelqu'un d'amical. Il était nul pour faire connaissance. Mais ce n'était pas comme si cela le dérangeait. A vrai dire, sa nature méfiante faisait de lui quelqu'un de peu bavard. Mais bon, tant que Kalis ne lui posait pas des questions indiscrètes qu'il préférait éviter, tout irait bien.
« Ethan. » répondit-il. « Non, je ne suis pas coureur, mais trappeur. Et toi ? Ensuite, je suppose que j'ai aux alentours de dix-sept ans. Je suis ici depuis presque sept mois... »
Toujours répondre brièvement, en faisant bien attention à ne pas dévoiler de détails ou de précisions trop personnelles. C'était sa devise. Pas question que qui que ce soit ne découvre ses failles. Surtout qu'il ne connaissait rien du brun face à lui. Il allait d'abord devoir passer son "test", comme il aimait l'appeler, s'il voulait avoir une chance qu'un jour -peut-être- Ethan se confie à lui. Et pour ça, c'était pas gagné. A quoi bon s'attacher alors que chacun pouvait mourir d'un moment à un autre ?
Je voyais bien que le garçon n'avait pas très envie de parler non plus. Et mes questions précipitées semblaient l'avoir énervé sur le coup. Ca se comprenait. On me disait très souvent d'arrêter d'être aussi curieux. Mais moi, ça me plaisait de l'être.
-Moi c'est Kalis. J'ai 16 ans, j'suis un coureur et j'suis là depuis..quelques mois, je ne sais combien exactement.-
Je dévisageai le nouvel arrivant de mes yeux clairs. Intensément, comme pour essayer de lire dans ses pensées. Comme pour deviner qu'il était vraiment. Pour en connaître plus sur lui. Lui non plus n'avait pas l'air très bavard. En l'observant un peu plus longtemps, je me rendis compte qu'au fond, nous nous ressemblions beaucoup. Plutôt solitaire, secret, pas bavard.
-Tu as peur du labyrinthe toi ? Pourquoi t'a jamais voulu y entrer ? enfin je suppose puisque tu n'est pas coureur.
J'avais parler sans réfléchir. Je ne savais pas comment il allait prendre cette question. Bien ou mal ? Mais je ne m'arrêta pas là pour autant.
-Que penses tu du labyrinthe toi ? Et...Penses tu qu'il y a une sortie ?
Trop de questions qui, à mon avis, n'allaient pas forcément plaire au trappeur. mais je voulais en savoir plus sur lui. Sur ces pensées. Sur ce qu'il ressentait au plus profond de lui. Comme si je voulais tout savoir de lui, ne rater aucun détails. Encore une fois pour essayer de déterminer s'il était de confiance ou pas. Je m'avançai vers lui et le fixai toujours de mes yeux clairs. Cette habitude de toujours vouloir tout sur les gens devait sans doute en agacer plus d'un mais je n'allais pas arrêter pour autant. J'aimais la solitude et l'ombre, savoir tout des autres, savoir tout de ce qu'il se passe autour de moi. Une habitude qu'on m'avait souvent dis d'abandonner. Je m'adossai au mur toujours en le fixant. Puis souriai en coin, impatient de connaître ses réponses.
Ethan baissa les yeux vers ses pieds pendant un instant. Il aurait très bien pu terminer cette discussion là et s'en aller. Après tout, il avait mieux à faire -enfin, non, mais passons. Pourtant il restait là, parfaitement immobile, à attendre de voir quel tournant allait prendre cette conversation.
« Moi c'est Kalis. J'ai 16 ans, j'suis un coureur et j'suis là depuis..quelques mois, je ne sais combien exactement. »
Le jeune trappeur hocha pensivement la tête. Et il redressa le menton pour mieux observer son interlocuteur. En effet, il avait bien la carrure d'un coureur. Grand, les épaules carrées. Il devait être rapide. Logiquement, s'il avait été pris chez les coureurs, il l'était. Mon Dieu, quelle perspicacité. D'un coup, Ethan se sentit légèrement mal-à-l'aise. L'autre garçon semblait le passer à la sonde. Il avait un regard perçant plongé dans ses yeux. Et c'était... déstabilisant. C'était comme s'il cherché à déshabiller son âme, afin de dévoiler toutes ses peurs, ses failles...
« Tu as peur du labyrinthe toi ? Pourquoi t'a jamais voulu y entrer ? enfin je suppose puisque tu n'est pas coureur. »
Ethan haussa un sourcil, ne comprenant pas bien pourquoi on lui posait une telle question. Il allait dans le Labyrinthe tous les jours. D'accord, il n'était pas des plus rassurés lorsqu'il y allait, mais il avait fait le choix d'y risquer sa vie. Et il ne renoncerait pas à son job de trappeur. Il en avait besoin pour évacuer son hyperactivité.
« Euh... Je suis trappeur. Cela signifie que je vais autant dans la Labyrinthe que les coureurs. »
Le regard de Kalis était toujours posé sur le jeune homme, insistant. Et Ethan ne put s'empêcher de basculer d'un pied à un autre, de plus en plus mal-à-l'aise. Être observé à la loupe, il ne trouvait pas ça agréable. Mais, le coureur reprit bientôt la parole.
« Que penses tu du labyrinthe toi ? Et...Penses tu qu'il y a une sortie ? »
Cette fois, le brun fronça les sourcils et recula légèrement. Son interlocuteur venait de se rapprocher un peu plus. Pour dissimuler son mouvement de recul, il alla s'appuyer au mur. Trop de proximité le rendait nerveux, mieux valait rester à une distance raisonnable. Il inspira discrètement avant de se décider à répondre.
« Et toi ? Qu'en penses-tu ? » Répondre à une question par une autre, il adorait ça. Surtout pour les questions de ce genre, auxquelles il n'avait pas vraiment envie de répondre.
Il ne faisait pas ça par lâcheté. On pourrait croire. Après tout, se défiler n'était pas une forme d'honnêteté. Mais il voulait éviter de répondre. Ce genre d'opinion personnelle n'était pas quelque chose que l'on révélait au premier venu. Ce n'était pas non plus par méchanceté qu'il renonçait à répondre à ce garçon. Juste qu'il n'en avait pas envie. Et si Kalis ne voulait pas non plus lui donner son avis, il le comprendrait parfaitement.
Je le sentais, je le voyais dans son regard qu'il était mal à l'aise, qu'il aurait préféré parler d'autres choses ou tout simplement ne pas répondre aux questions. Il faut dire qu'elles étaient légèrement déstabilisantes. Cependant, je ne m'arrêtais pas là. J'avais encore tellement de questions !
-Ah oui..C'est vrai. Tu es trappeur, toi aussi tu vas dans le labyrinthe. J'suis bête.
Puis le trappeur finit par reculer et je souriais, légèrement amusé. Je ne savais pas si je lui faisait peur ou pas, ça n'était pas forcément le but. Mon interlocuteur s'adossa au mur. .. Que pensai je du labyrinthe ? Je réfléchis un instant à la question.
-Nous ne sommes pas arriver là par hasard. ca, c'est sûr. Enfin je suppose...je veux dire...Comment serions nous arrivés ici sinon ? En tombant du ciel ? Non...Y a forcément quelque chose ou quelqu'un qui nous a expédiés ici pour une bonne raison. Tu ne penses pas ?
Je marquai une pause le temps de le laisser méditer sur mes paroles puis le fixai de nouveau.
-Et toi ? Tu n'as pas répondu.
Je m'adossai au mur, les mains dans les poches et attendis sa réponse.
Malgré l'attitude d'Ethan qui montrait clairement qu'il n'était pas à l'aise, le coureur continuait de le fixer, poursuivant tout naturellement la conversation.
« Ah oui..C'est vrai. Tu es trappeur, toi aussi tu vas dans le labyrinthe. J'suis bête. »
Le jeune trappeur resta silencieux. En effet, il allait dans le Labyrinthe. Comme lui, il faisait parti des suicidaires qui risquaient leur vie chaque jour pour une sortie qui n'était décidément pas prête à se montrer. Très glorieux tout ça. Le sourire amusé qu'affichait Kalis, alors qu'il reculait, n'échappa pas au brun. Il n'y avait rien d'amusant. Il s'éloignait simplement de lui car il avait un peu de mal avec le contact physique. Et puis, trop de proximité aurait risqué de le mettre encore plus mal-à-l'aise. Pourtant, ce n'était pas dans ses habitudes de se montrer gêné. Peut-être était-ce l'effet que lui faisaient les questions assez entreprenantes de son interlocuteur. Finalement, le coureur répondit à la question qu'il lui avait retourné un peu plus tôt.
« Nous ne sommes pas arriver là par hasard. Ça, c'est sûr. Enfin je suppose...je veux dire...Comment serions nous arrivés ici sinon ? En tombant du ciel ? Non...Y a forcément quelque chose ou quelqu'un qui nous a expédiés ici pour une bonne raison. Tu ne penses pas ? »
En effet, ils n'étaient pas tombés du ciel, c'était certain. Justement, ils étaient plutôt venus de sous-terre, par la boîte. Ethan s'en souvenait très bien, malheureusement. Alors, il hocha la tête. Tout simplement.
« Et toi ? Tu n'as pas répondu. »
Ethan soupira légèrement en entortillant ses doigts entre eux. Cela ne lui plaisait toujours pas de partager ses opinions. Il préférait tout garder pour lui. Mais, il ne pouvait pas nier que Kalis faisait beaucoup d'efforts pour entretenir la conversation. Il se devait de répondre, afin de paraitre un minimum sociable tout de même.
« Je pense qu'il y a une sortie. Quelque part dans le Labyrinthe. » Il marqua une pause, faisant courir son regard le long du Bloc, s'attardant sur les grandes portes. « Mais que nous ne sommes tout simplement pas encore prêts à la trouver. »
Quel gros effort de sa part ! Annoncer son point de vue sur cette histoire de sortie était déjà un gros progrès pour Ethan. Il était resté vague, comme souvent. Mais il avait tout de même énoncé son avis. C'était un bon début, non ?
« Pourquoi tu pleurais tout-à-l'heure ? » reprit-il ensuite.
Bah oui, autant ne pas y aller par quatre chemins. Kalis l'avait interrogé à la manière d'un journaliste avide de renseignements, à lui d'en faire autant. Il ne comptait pas le bombarder de questions, mais juste poser celles qu'il jugeait nécessaires. Après tout, cela lui permettrait de voir quel genre de personnes il était.
Ethan ne semblait pas prêt à partager son avis sur le labyrinthe. Il se tortillait les mains, nerveux et je le voyais aussi dans son regard. Je le détailla de la tête au pied, un sourire au coin des lèvres. Plutôt grand, à peu près ma taille je dirais, des épaules carrés et des yeux sombres. Oui, il avait bien le physique d'un trappeur. Je promenais mon regard sur chaque traits de son visage, le dévisageant comme pour essayer de trouver chacun de ses secrets cachés. Oh ca pouvait le troubler, ça se comprenait, personne n'aime être détaillé à la loupe. Mais moi j'avais toujours fais ça et c'était grâce à mes habitudes étranges que j'arrivais à démêler le vrai du faux ou à déterminer les vraies apparences d'une personne qu'elle pouvait souvent cachées derrière un masque. J'avais à présent les yeux baissés au sol, réfléchissant à toutes sortes de choses: Le labyrinthe, le trappeur juste devant moi, mes crises d'angoisses assez récentes...
- Pourquoi tu pleurais tout-à-l'heure ?
Et paf. la question qu'il ne fallait pas. Non, je n'avais pas honte de pleurer mais parler de mes nombreuses crises qui m'attaquaient souvent en ce moment me perturbait un peu. Mais bon...Puisqu'il avait fait un effort, je devais en faire un moi aussi, non ? Je leva mes yeux clairs sur lui, lentement, très lentement et le fixa.
-La pression et la peur.
Pas la peine de rajouter quoi que ce soir. Je ne doutais pas qu'il soit intelligent mais quiconque ici à l'entente du mot "peur" penseraient instinctivement au Labyrinthe. Cependant, je poursuivis.
-La peur de ne jamais sortir de cette cage, de cet endroit. Non pas que je ne vous apprécie pas vous les blocards, bien au contraire mais...Je pense que beaucoup de gens ici donneraient énormément pour connaître leur vie d'avant.
Je le fixa intensément puis je poursuivis dans une inspiration.
-T'y penses pas toi à ta vie d'avant ? Ah si t'avais eu des frères et soeurs, ou alors une petite amie ? Et si tes parents étaient gentils ou méchants ? T'a jamais réfléchi à comment pouvaient être la maison ou tu habitais, ou si t'avais des bonnes notes...
Je m'arrêtai là, le souffle court. A ces pensées, mes yeux s'étaient de nouveau remplis de larmes. Je les chassais d'un rapide revers de manche avant de détourner le regard du garçon, serrant légèrement la mâchoire. A ce moment précis de ma vie, je ne souhaitais qu'une seule chose: Hurler. Hurler de toutes mes forces en espérant très fort que quelqu'un m'entende.
Sa question sembla déstabiliser le coureur pendant un instant. Il leva les yeux vers Ethan et se mit à le fixer une fois de plus. Le brun était presque sûr que Kalis se résignerait et ne répondrait pas. Mais il se trompait, puisque son interlocuteur prit la parole peu de temps après.
« La pression et la peur. » Il marqua un temps. « La peur de ne jamais sortir de cette cage, de cet endroit. Non pas que je ne vous apprécie pas vous les blocards, bien au contraire mais...Je pense que beaucoup de gens ici donneraient énormément pour connaître leur vie d'avant. »
Ethan hocha lentement la tête. Presque tout le monde au Bloc donnerait cher pour récupérer ses souvenirs. Lui en premier. Les bribes de son passé qu'il apercevait dans ses cauchemars ne lui suffisaient pas. Il ne parvenait pas à saisir le sens de ces morceaux de souvenirs. D'où lui venait sa claustrophobie ? C'était principalement ce qu'il souhaitait savoir. La peur du confinement, c'était souvent dû à un traumatisme. Qu'avait-il pu lui arriver pour qu'il en devienne claustrophobe ?
Sans le quitter des yeux, Kalis poursuivit;
« T'y penses pas toi à ta vie d'avant ? Ah si t'avais eu des frères et soeurs, ou alors une petite amie ? Et si tes parents étaient gentils ou méchants ? T'a jamais réfléchi à comment pouvaient être la maison ou tu habitais, ou si t'avais des bonnes notes... »
Surtout, ne jamais montrer son trouble. Enfermer tous ses sentiments dans un coin de sa tête et les y laisser. Rester de marbre, en toutes circonstances. A sa vie -sa vraie vie, pas celle au Bloc- il y pensait tout le temps. Chaque jour le rendait un peu plus impatient de connaitre la vérité. Mais, l'obtiendra-t-il un jour ? Est-il destiné à sortir de cette prison, dans un futur plus ou moins proche ? Seuls les quelques souvenirs qui lui revenaient parfois en mémoire lui donnaient des indications sur son passé. Mais c'était trop bref. Il avait énormément de mal à se remémorer ses rêves, au petit matin. Et quand il y parvenait, il n'y comprenait rien. Tout se mélangeait dans son esprit, ne lui offrant qu'en prime une horrible migraine...
« Ça ne sert à rien de s'en préoccuper. On vit ici maintenant. »
Et oui, il était pessimiste. Mais ce n'était qu'une façade. Au fond de lui, Ethan gardait espoir. Toujours. Mais il n'était pas question qu'il montre le moindre signe de faiblesse. L'espoir, c'était important... Quand on le gardait pour soi. Inutile de rassurer les autres si rien n'était moins sûr. Étant donné que ce n'était vraiment pas un sujet de conversation qu'il affectionnait, Ethan décida qu'il était temps d'en changer.
« Pourquoi tu as voulu devenir coureur ? »
Il se laissa glisser contre le mur, s'asseyant à même le sol. Il tapota rapidement la place à ses côtés, intimant au jeune homme de le rejoindre. Il tentait de faire du social, c'était vraiment un bon début.
Le trappeur me montra la place à côté de lui, m'invitant à s'asseoir à ses côtés. Un court instant j'hésitai. Je finis cependant par m'avancer lentement vers lui et me laisse glisser contre le mur à mon tour. Il me sembla que le garçon voulait changer de conversation. Ca n'était pas plus mal remarque. Je me mis à réfléchir sérieusement à sa question en marquant de nouveau un moment de silence.
-Pour pouvoir courir. Courir sans m'arrêter. Quand t'es dans le labyrinthe évidemment tu risques ta vie et à chaque minutes qui passent tu peux mourir. Mais au fond,pour moi, le plus dur c'est pas d'essayer de survivre et de courir pour ne pas mourir. Pour moi le plus dur c'est de se demander si nos efforts servent ou serviront à quelque chose et si on va rester ici toute notre vie. On n'est pas obligés de vivre comme ça, je refuse de jouer au mouton. Enfin remarque...Au fond, c'est un peu ce qu'on est. Non ? Des moutons.
A ces mots, je rigolai doucement. Dans ma tête je m'imaginai transformé en mouton parmi un troupeau entier, un berger nous fouettant pour qu'on avance. C'est vrai, nous les blocards, c'était un peu ce qu'on était. On vivait au rythme des désirs du labyrinthe et les jours passants se rassemblaient. Parfois, je me demandai comment la première personne qui était arrivée ici avait réussie à ne pas sombrer dans le désespoir et à ne pas devenir folle. Ca devait être l'habitude, j'imagine que moi aussi je pourrais être aussi résistant et fort que le plus ancien de tous les blocards. Je secouai la tête, à moitié perdu dans mes pensées.
-Et puis...Il faut bien savoir ce qu'il y a dans le labyrinthe non ? C'est pour ça qu'il y a des coureurs et que j'en fais parti. Et toi ? Pourquoi être devenu trappeur ?
Je tournai ma tête vers le trappeur, le dévisageant de nouveau. Maintenant que nous étions plus proches que tout à l'heure, je pouvais mieux le détailler. Cependant mon regard ne s'attarda pas sur lui et se fixa sur le mur d'en face.
Kalis vint s'installer aux côtés du jeune homme. Il marqua un temps d'arrêt pendant lequel il devait certainement réfléchir à la question qu'Ethan lui avait posée Ce dernier allongea ses jambes sur le sol, fixant un brin d'herbe près de son pied gauche.
« Pour pouvoir courir. Courir sans m'arrêter. Quand t'es dans le labyrinthe évidemment tu risques ta vie et à chaque minutes qui passent tu peux mourir. Mais au fond,pour moi, le plus dur c'est pas d'essayer de survivre et de courir pour ne pas mourir. Pour moi le plus dur c'est de se demander si nos efforts servent ou serviront à quelque chose et si on va rester ici toute notre vie. On n'est pas obligés de vivre comme ça, je refuse de jouer au mouton. Enfin remarque...Au fond, c'est un peu ce qu'on est. Non ? Des moutons. »
En effet, c'était souvent l'impression qu'avait Ethan. De ne faire que ce qu'on attendait de lui, sans broncher. A quoi cela servirait-il, de refuser de coopérer, de toute manière ? Il était très bien comme ça, à faire son boulot sans embêter personne. On ne venait pas l'ennuyer en retour, et c'était parfait. Le Bloc fonctionnait mieux si chacun restait à son poste sans enfreindre les règles. C'était le meilleur que chaque blocard pouvait faire. La voix du brun le sortit de ses pensées.
« Et puis...Il faut bien savoir ce qu'il y a dans le labyrinthe non ? C'est pour ça qu'il y a des coureurs et que j'en fais parti. Et toi ? Pourquoi être devenu trappeur ? »
Question piège. Comment dire que c'était parce qu'il lui était impossible de rester au Bloc toute une journée ? Que c'était à cause de sa claustrophobie ? Il ne l'avouerait jamais. Seule sa plus proche amie était au courant de ce trouble. Et c'était parce qu'elle l'avait découvert, pas parce qu'il lui avait dit. Pourtant, c'était certainement la personne en qui il avait le plus confiance au Bloc. Alors, s'il ne lui avait pas avoué à elle, il ne le ferait pas non plus avec ce garçon qu'il connaissait à peine.
« Parce que je ne supporte pas de rester au Bloc. Je suis hyperactif, et le poste de trappeur était le seul à m'offrir l'opportunité de courir et élaborer des pièges. »
Ce qui était vrai. Ce n'était pas la principale raison bien sûr. Mais c'en était une tout de même. Après, libre au coureur de le croire ou non. Ethan chercha quelque chose à dire, de quoi relancer la conversation sur un autre sujet. Mais il séchait complètement là. Autant dire qu'il n'était pas super doué pour la socialisation, et s'estimait déjà en progrès étant donné qu'il avait quand-même réussi à lui poser quelques questions et répondre aux siennes sans trop d'agacement. Afin d'occuper ses doigts, il commença à arracher quelques brins d'herbe, s'amusant à les découper ensuite en de plus petits morceaux. C'était nulle, comme occupation, mais bon...
Je voyais bien que le trappeur n'était pas très bavard. Il se mit à jouer avec des brins d'herbes. Je souriai, un peu perdu dans mes pensées. Je ne savais pas trop quoi lui dire. Je me levai et lui tendais une main pour l'aider à se relever à son tour. Je ne savais pas trop comment il allait prendre mon geste: Marque d'amitié ou juste de politesse ? Mes yeux se fixèrent dans les siens. Cette fois ci, je ne chercha pas à le déstabiliser. Ni à le passer à la loupe comme je l'avais fais précédemment.
-Le labyrinthe est peut être dangereux mais nous arriverons à le battre. Même si ca prendra sans doute longtemps...Beaucoup de temps. J'espère juste qu'on mourra pas de faim ni de soif ni de je sais pas quoi avant la fin...Et puis je me demande aussi ce qu'il y aura après le labyrinthe...Retrouverons nous notre vie d'avant ?
Je détournai la tête et soupira. Longtemps ? combien de temps ? Un an ? 6 ans ? 20 ans ? qui sait ? peut être que dès demain, le labyrinthe aura disparu. Enfin, il ne faut pas trop y compter. J'avais de ces idées parfois ! Il fallait vraiment que j'arrête de penser tout et n'importe quoi. Mais bon, demain est un autre jour. Je soupirai.
-En tout cas, c'était cool de te parler. Là je vais aller dormir un peu. Oui, je sais je devrais aller travailler comme les autres blocards mais j'suis épuisé. Enfin bref.
Attendant ses réactions, je laissais ma main tendue vers lui pour voir si il allait la prendre ou décider de se débrouiller tout seul.
Un brin, deux brins, trois brins, quatre brins, cinq brins d'herbe... Ethan aurait pu continuer encore longtemps comme ça, seulement pour éviter de trop penser. Mais le jeune homme à ses côtés ne mit pas bien longtemps à se relever. Le trappeur releva lentement les yeux, s'arrachant à la contemplation des ses minuscules fils verts. Surpris, il fixa la main tendue devant lui. Franchement, il ne doutait pas que Kalis faisait simplement ça par marque de politesse ou d'amitié. Et il n'y avait rien de choquant dans ce geste. Mais Ethan y était si peu habitué qu'il resta quelques instants immobile. Chose quasiment improbable pour un hyperactif comme lui.
Finalement, jugeant qu'il avait attendu suffisamment longtemps, il prit la main que le garçon lui tendait. Il ne s'attarda pas et se releva à toute vitesse, brisant rapidement le contact. Parce que son interlocuteur avait l'air sympathique et qu'il n'avait pas voulu lui mettre un gros vent dont il aurait été lui-même gêné. Et puis, Kalis avait cessé de le passer à la loupe, alors autant dire qu'il se sentait bien mieux.
« Le labyrinthe est peut être dangereux mais nous arriverons à le battre. Même si ça prendra sans doute longtemps...Beaucoup de temps. J'espère juste qu'on mourra pas de faim ni de soif ni de je sais pas quoi avant la fin...Et puis je me demande aussi ce qu'il y aura après le labyrinthe...Retrouverons nous notre vie d'avant ? »
Beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps, en effet. Énormément même. D'une certaine manière, Ethan ne se faisait plus d'espoir. Cela faisait tellement longtemps qu'il attendait de s'enfuir de cette prison, de recouvrer la totalité de ses souvenirs. Mais d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de croire à une possible sortie, qu'ils découvriraient peut-être un jour...
« En tout cas, c'était cool de te parler. Là je vais aller dormir un peu. Oui, je sais je devrais aller travailler comme les autres blocards mais j'suis épuisé. Enfin bref. »
Ethan hocha la tête, compréhensif. Lui aussi avait bien envie d'aller se reposer. Pas dormir, ça, il n'y arriverait pas. Juste pouvoir poser sa tête en position allongée lui conviendrait.
« Ouais, salut. »
Il tenta un petit sourire suivi d'un léger signe de la main. Peut-être recroiserait-il Kalis dans peu de temps, qui sait ? Pour le moment, il se contenta de se rendre aux dortoirs.
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