Cela n’avait pas arrêté depuis ce matin : des corps abîmés, de la chair lancinée, des membres couverts de sang, du pus et une sale odeur d’humain pourri. Une atmosphère plombée flottait dans l’infirmerie tandis que les blessés défilaient devant les yeux des medjacks. Il n’y avait que moi pour me réjouir du cortège d’accidentés qui paradait sous mon regard satisfait. Les jours abondants de patients étaient toujours les meilleurs ; ils ne pouvaient qu’avoir un effet positif sur mon humeur. Il n’y avait que l’hémoglobine qui arrivait à me mettre dans un état de telle euphorie et je humais avec ivresse l’air saturé d’une odeur de pourriture.

Cependant, il y avait eu une telle abondance de blessés que j’en devins presque fatigué de rire devant les ignobles plaies qu’ils me présentaient. Au fur et à mesure que la journée passait, je finis par me lasser de cet interminable enchaînement de membres lacérés par ce qui semblait être un fouet. En effet, tous présentaient les mêmes symptômes : sur la quasi-totalité de leurs corps s’étalaient des centaines d’hématomes et de lésions de l’épiderme causés très certainement par les les instruments redoutables de la milice. Lorsque le dernier des patients sortit, il était déjà tard et les portes du labyrinthe s’étaient déjà refermées dans cet habituel boucan inquiétant. Je laissai mon corps s’écrouler mollement sur l’une des tables d’examen et soupirai longuement, exténué. Je tournai ensuite mon regard vers l’extérieur, où un calme troublant régnait. Seul le son des pas traînants de quelques miliciens venait briser ce silence angoissant. Lorsque l’un d’eux arriva dans mon champ de vision, je le maudis, le temps de quelques secondes, de me dégoûter ainsi de la chair humaine déchiquetée ; je ne pensais pas un jour m’en désintéressé. « Envoyez-moi des victimes de griffeurs pour changer un peu » pensais-je tout bas.

Je me redressai lentement pour découvrir juste devant moi Hailee, épuisée elle aussi, son enthousiasme habituel consumé par la fatigue qu’avait causé cette journée éreintante. Je m’avançai paresseusement vers la jeune blonde et vins m’asseoir à côté d’elle, en posant d’un air las ma tête devenue trop lourde. L’envie de sortir une vanne bien nulle me serrait la gorge mais même l’imagination me vint à manquer ; les quelques neurones encore présents refusaient de fonctionner et, alors qu’il m’était en temps normal difficile de le faire, réfléchir était devenu impossible.

- « Tu penses que je peux dormir ici ? demandai-je à la medjack sans réellement m’adresser à elle, Oui, je pense que je peux. J’ai pas la force de me traîner jusqu’au dortoir ou jusqu’au hangar de toute façon. S’il y a une urgence, surtout, ne me réveille pas. Même si le tocard qui débarque est à moitié mort. »

Je me laissai doucement aller aux bras de Morphée ; mes paupières déjà lourdes se refermèrent lentement et ma vue se brouilla petit à petit. Et alors que je m’apprêtais à plonger dans l’obscurité la plus profonde, une petite masse sombre et écarlate s’immisça dans mon champ de vision. Intrigué, j’abandonnai l’idée de me reposer et rouvris les yeux pour découvrir un blocard baignant dans son propre sang. Il venait de s’écrouler sur le seuil de la porte de l’infirmerie et sa respiration irrégulière était le seul signe que la vie coulait encore dans ses veines. Une montée d’adrénaline effaça toute fatigue que j’avais pu ressentir quelques instants plus tôt et, avide de découvrir quel genre de blessure béante se trouvait sur son petit corps frêle de tocard, je me précipitai d’un bond vers la pauvre victime, trépignant d’excitation.

- « Hailee ! Oublie la sieste ! Regarde-moi celui-là, il pisse le sang ! J’en ai rarement vu autant, c’est incroyable ! Aide-moi à le relever et arrêter l’hémorragie ! »