J'ouvre les yeux. Le vide. Rien que ça. Pourtant, dans toute cette immensité belle et floue, quelque chose me turlupine. Pas ce ciel azur et bleu pur qui me surplombe, comme une voûte céleste au dessus de ma tête, pas ce paysage ocre fait de dunes de sables et de côtes, pourtant si différent du gris béton des murs du Labyrinthe et du vert sombre des plantes et de l'herbe. Non, ce qui m'embête, c'est étrange et inhabituel. Je cherche toujours, fouillant mes pensées, fouinant mes émotions, cherchant dans ma mémoire.
Ma mémoire.
Enfin retrouvée, longtemps cherchée et jamais reprise, la voilà réapparue comme un amie perdu revenant après un an, te disant un petit « coucou ! » joyeux, comme si de rien n'était.
Ma mémoire.
Les événements me frappent.
* * *
-Maman, pourquoi tu pleures ? Demande la petite fille burne assise aux c^ôtés d'une belle femme. Jolie et menue, elle arbore de magnifiques yeux couleur indigo.
-C'est ton père. Ses arguments sont … frappants, fait la dame, brune elle aussi, en esquissant un sourire amer.
-Ça veut dire quoi ?
-Que je suis convaincue.
* * *
-Tu veux quoi ? Lui gueule l'adolescente.
-Que tu me passes ton goûter et ton portable, Yûki, c'est moi qui décides et toi tu m'obéis, compris ? Lui rétorque un grand lycéen, énorme, baraqué, levant la main en guise de menace.
La jolie brunette se contente de le foudroyer du regard.
-Ta gueules, je suis pas une Yûki et je t'obéis pas, okay ? Lui crie t- elle. Les poings, serrés, elle écarquille pourtant ses yeux indigos où se reflète la peur.
Le grand mec rougit de colère et se précipite violemment sur elle.
* * *
La tête entre les mains, je reprends ma respiration.
Les souvenirs font mal.
* * *
-Nyrah, on t'a trouvé un mari, annonce l'homme, grand et barbu, assis sur le canapé, qui lit un magazine people. Il s'adresse à une jeune file d'environ 17 ans qui se débarrasse de son sac de cours devant la porte d'entrée. Elles est brune. En entendant cette phrase, elle jette un coup d’œil horrifié à l'homme, visiblement son père.
-QUOI ?!
-Il n'a que 45 ans, il est fortuné et bien fait de sa personne. Un parfait parti, si tu veux mon …
-Tu rigoles ? Ou je rêve ? Ça doit être ça je rêve ! On est en 2013, papa, pas au XVIIIe siècle ! Je suis libre ! JE choisis avec qui je me marie, et puis ton mec je l'ai jamais vu alors ton projet de mariage ben pour moi c’est mort !
Ses yeux indigos lancent des éclairs.
-Nyrah …
Elle enfile un blouson et sort de chez elle en claquant la porte.
* * *
Un paysage connu. Je suis de retour au Bloc. Qu'est ce que c'est que ce souvenir ? Pourtant, devant moi, tout est dévasté. Je sens la peur. Une horde de 10 Pisteurs est en train de ravager le Bloc. Plusieurs Griffeurs les accompagnent et mangent des blocards sur place. Des Pilleurs ravagent les bâtiments. Tout le monde se défend comme il peut.
A côté de moi, une jeune fille pousse un hurlement quand un Pisteur se jette sur elle. Je ferme les yeux, paniquée. Son cri est bientôt éttouffé par les rugissements de l'animal. Quand je rouvre les paupières, je reconnais enfin la fille. Grâce à une main. Une main humaine et … arrachée … qui gît devant moi. Une main dans laquelle repose ne arme qui a goûté à ma chair. Un fouet. Celui de Pearl.
Je déglutis. Je lèves les yeux sur le félin qui a terminé son repas et me fixe de ses yeux jaunes en se léchant les babines. Puis … un cri.
-NON, NE TOUCHE PAS A MA SOEUR !
Hermione.
* * *
Peur douloureuse. Angoisse. Abominable.
Des larmes aux coins des paupières.
Oh, Hermione qu'as – tu fait …
* * *
Le félin ronronne de joie, sûrement du fait d'avoir deux proies à portée de crocs. Tétanisée, je ne peux plus bouger. Il vient se poser à deux centimètres de la Medjack. Un filet de sueur coule sur mon front. Non…
Avec un rugissement de bonheur, il renverse ma sœur.
Avec un cri, mon cœur se fend.
-ADIEUUUUU …
Mes jambes se libèrent et je démarre en trombe, le plus vite possible pour aller le plus loin possible de ce montre. J'entends ses crocs qui mâchent.
Horrible.
Mes larmes ont commencé à couler. Mais je cours plus vite qu'ell'es ne dévalent mes joues, alors elles se détachent au fur et a mesure que je cours. Au loin, je vois un blocard se défendre face à un autre Pisteur. Il va se faire déchiqueter, s'il ne court pas … Je lui fonce dessus, lui agrippe un bras et le tire loin de la Créature. D'abord déséquilibré, il se stabilise et me dépasse. Je suis étonnée. Je suis quand même rapide mais ce, non, cette blocarde l'est encore plus ! Elle me fait stopper pour me crier, furieuse :
-NON MAIS CA VA PAS ?
Mais … Je connais cette voix ! C'est celle … D'Esther …
-On a pas le temps de se défendre ! Soit on se fait bouffer dans le Bloc, soit on se fait bouffer dans le Labyrinthe en cherchant la sortie ! Tu choisis !
-Ok, mais on prends d'autres blocards avant ! Fait – elle après réflexion.
-OK !
* * *
Mon souffle ralentis.
Ils s'en sont sortis ?
* * *
Plusieurs blocards nous ont rejoint. Il y a Ellen, Ragnard, Allya, Milo, Théo, Jonas, oui, Jonas, Isaac et Lucas. On est dix en tout. On fonce à grand pas vers le Labyrinthe. Jonas, Lucas et Milo sont lents mais c'est normal, il ne sont ni Coureurs ni Trappeurs. On arrivera dans le Labyrinthe dans quelques secondes. Deux … Trois … Un Pisteur se jette devant nous en rugissant. Il a la gueule pleine de sang.
Tout le monde freine. Mes jambes sont prêtes à lâcher tellement j'ai la trouille.Théo tombe, emporté par la vitesse, mais se relève aussitôt. Le Pisteur se tapit au sol. Personne ne fait plus un seul mouvement. Puis, énervé par toute cette malchance, Ragnard se précipite sur l'animal en hurlant de colère.
-Courez ! Nous hurle t – il.
On ne se le fait pas dire deux fois. On part en courant dans le Labyrinthe, même si ça nous en coûte beaucoup d'abandonner un ami. Nos cœurs, déjà bossus par la peur, se fendillent. Isaac donne sa lance à Ragnard. On entre dans ce foutu Labyrinthe, accompagnés par les hurlements de colère puis de douleur de notre ami Trappeur.
* * *
Qui va s'en sortir ?
Et si j'étais morte ?
Est – ce le Paradis ?
Ou l'Enfer, peut – être ?
* * *
On court, on court, on court … Au loin, je vois une plante étrange. Au moment où l'on passe à côté d'elle, je la reconnais et crie aussitôt :
-Une Vicieuse ! ECARTEZ VOUS !
Tous ceux qui connaissent la plante s'écartent. Esther pousse Lucas, Ellen tire Milo, personne ne s'occupe de Jonas mais il s'écarte lui aussi. Malheureusement, Milo s'arrête de courir et regarde la plante. Il ne nous voit pas. Du moins on dirai. Esther comprends aussitôt et se met à le secouer comme un prunier. Il ne se réveille pas. Il ne bougera pas. On est obligés de l'abandonner ici. Ellen, Esther et tous ceux qui l'ont connu ont les larmes aux yeux. Moi, je baisse les miens. Ça me fait mal. Je ne le connaissais pas, mais une mort de plus … Il ne se réveillera pas.
Du moins, pas avant la nuit.
* * *
Et encore un.
C'est donc la fin ?
* * *
On a fini par le laisser devant la Vicieuse. Je me méfie des plantes désormais. Je marche au milieu des couloirs. Puis on entends un cliquetis familier. On se retourne lentement.
Un Griffeur.
Je me prends la tête la tête entre les mains. Je sais ce qui va se passer. Un deuxième sacrifice.
Mais jamais je n'aurais pensé que ce serai Jonas qui s'élancerait sur la Créature. Qui se battrai pour nous. Pour l'esprit commun. Tout le monde peut changer. Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis. On l'abandonne dans sa bagarre contre le Griffeur. On rase le sol. Un cri de couleur retentis derrière nous. Puis un deuxième. Je ferme les yeux très forts. Puis je les rouvre. Manquerait plus que je prenne un mur.
* * *
Jonas mort.
Les rebelles auraient gagnés.
Faux.
Nous n'avons jamais gagné.
* * *
Allya tombe à terre dans un hurlement de douleur. Strident. Tout le monde sursaute. Isaac et Théo s'agenouillent près d'elle. Ils lèvent leur têtes en même temps.
-Épinelle, font – ils.
Je me mords la lèvre. Isaac relève la Coureuse, passe un bras autour de sa taille, et l'accompagne dans sa course. On se remet à courir. Beaucoup moins vite. Allya ne le supporterai pas, sinon. Mais au fond de moi, je sais que sur 7, nous pouvons déjà compter moins un. Le destin, cruel, me donne bien vite raison ; Allya finit par s'évanouir. Arès délibération, dure car nous devions choisir par raison et non par cœur, nous la laissons sous un buisson. Pour fausser l'odorat des Créatures quand il chercheront un repas.
* * *
Moins un.
Plus un.
Tout m'est égal.
* * *
On est dans le Bloc 5. On a ralentis. Épuisé, Lucas traîne. Esther l'exhorte à accélérer. Il s'y refuse. Bientôt, il s'écroule à terre.
-Lucas, l’appelle Esther. Debout !
Las, il se relève et court vers nous. Beaucoup trop vite. Un mur apparaît. On entends le bruit de la chute du chercheur. Esther, soucieuse, oublie toute prudence et a la même réaction que moi, une fois, dans le même bloc.
-LUCAS ?!
Je vois Isaac et Théo qui se mordent la lèvre, inquiets. En tout cas, Lucas ne réponds pas. Esther se retourne vers nous. Elle a les larmes aux yeux. Elle est sur le point de pleurer. Des pas. D'animal. Un léopard. Oh, non. Lasse, je suis sur le point de me proposer en sacrifice quand Ellen se jette sur le Pisteur qui vient d’apparaître au coin d'un mur. On s'enfuit dans l'autre sens. Cent mètres plus loin, on s'écroule tous les quatre à terre, épuisés. Puis un éclate en sanglots. On va mourir. J'ai peur, cette insidieuse peur, vicieuse et tortionnaire. On se serre sur le sol, tout kles quatre. Je ne connais pas très bien Esther, je passe mon temps à me dispouter avec Théo et Isaac n'est qu'un simple ami, mais cette étreinte me rassure. Au moins, je ne mourrai pas seule.
* * *
Si, je serai seule.
Je le sais maintenant.
* * *
Des bruits de pas résonnent. On se lève. Difficilement. Je tire ma dague et ma machette. Esther brandis son trident. Isaac passe une dague à Théo et dégaine son épée. Puis un mec apparaît. Brun. Des yeux gris orage. Plus grand que moi mais plus petit de 3 centimètres qu'Isaac. Beau. Le regard brillant. Tout décoiffé. Je le connais. Mon cœur se fend. Je suis si triste et si joyeuse. Mon énergie qui m'avait abandonnée est revenue d'un seul coup, comme par magie. Je lâche ma machette, ma dague, je me met à trembler. Les armes font un grand cliquetis sur le sol de pierre. Il souris. Il a l'air fatigué. Il est armé d'un pistolet. Il arbore son sourire amusé et taquin.
Devant moi, en chair et en os, se tient Jeff.
* * *
Vivant.
* * *
Ses yeux gris deviennent soudain blanc laiteux. Son visage s’ôte de toute expression. Il lève machinalement la main gauche, qui tiens l'arme, et tire trois fois. Trois déclics. Trois détonations. Trois cadavres. Et moi. Debout et indemne. Du moins physiquement. Dans mon cœur. Je suis désespérée. Je suis terrorisée. Je suis furieuse. Je suis joyeuse. Mes yeux se posent tour à tour sur chaque mot. Théo, d'abord. Si ressemblant à son assassin. Si énervant et si attachant. Mort par une balle dans le ventre. A côté, Isaac. Il fait plus petit dans la mort. Ami, adieu. Mort d'une balle dans le cœur. Puis Esther. Elle est tombée en arrière. Ses cheveux lui forment comme une couronne autour de la tête. Leur couleur se confondant avec celle de son sang. Morte d'une balle dans le crâne. Et puis je regarde Jeff. Je le hais, à ce moment là. Je ne comprends pas. Je suis horrifiée. Furieuse. Désespérée. Affolée. Mais je suis amoureuse. Je ne sens plus rien quand Jeff m'assomme. Je suis déjà brisée. On ne sent rien quand on est mort.
Et une part de moi est morte.
* * *
Les souvenirs s'arrêtent. Je me sens beaucoup plus mal. Je .. J'aimerai mourir. Ils sont tous morts. Tous. Je suis la seule survivante. Alors que je suis amoureuse de l'assassin qui a tué la plupart des blocards. J'ai mal. D'abord je tombe à genoux. Puis je me plie en deux. J'ai mal ! Toutes mes émotions, je n'en veux plus. Laissez moi ! LAISSEZ MOI TRANQUILLE ! S'il vous plaît ! Mais non, ça ne part pas. Ça reste et ça s’amplifie. J'ai mal !
Je hurle.
Puis entre deux cris de douleur, de rage, il apparaît. Je me jette sur lui. Le frappe. Le plus possible. Mais chaque coup que je lui porte me fait plus mal à moi qu'à lui. Douleur, torture, ahhh, j'ai mal ! J'arrête de le frapper et dégaine ma dague. Je l'ai encore. Je croyais l'avoir lâchée. Il en a une lui aussi. On se bat. Je suis une folle. Je suis un animal. Il est plus fort, plus doué, mais je me débat, je rugit, je suis a moitié folle, j'ai mal, et je me bats pour échapper à la douleur. Je n'ai plus de moral, plus d'intelligence. Je redeviens un animal.
Enfin, je me retrouve avec une dague sur la gorge. Je retrouve enfin mon humanité. J'arrête de me débattre.
-Tu es lâche, fait – il d'une voix métallique, qui n'est pas la sienne. Il est contrôlé. Je ne peux pas le tuer. Pas lui.
J'ai toujours ma dague en main. Je la lui plante dans le genou, m'écarte, puis la brandis en titubant.
-Je suis lâche, Jeff ? Eh bien je ne le serai plus !
Je souris, mélancolique. Je brandis mon arme. Je tiens une chance, la dernière pour avoir la paix. Pour ne plus souffrir. Je me la plante dans la gorge.
Une vague noire m'emporte.
Je meurs.
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