Coré avait enfin fini son habituelle et longue tournée des animaux. Depuis qu'elle était maton, elle ne cherchait pas à diminuer son travail, bien au contraire. En tant que maton, c'était elle qui devait régler les conflits internes, entre Sarcleurs, donc, elle se devait de donner l'exemple. Par ailleurs, grâce à la jeune fille, les roulements de tâches étaient respectés. C'est ainsi, qu'aujourd'hui, c'était à elle de livrer les produits frais à la cuisine. C'était la tâche la moins contraignante, enfin pour Coré. Certains Sarcleurs ne voulaient pas effectuer cette tâche car il pouvait arriver que les cuisiniers ne soient pas contents de la qualité des produits apportés. Ils criaient alors sur les Sarcleurs et pouvaient même, s'ils étaient violents, leur renvoyer leur récolte dessus. Cependant, la Sarcleuse ne l'entendait pas de cette oreille. En effet, même si elle faisait partie des plus diplomates et conciliantes du bloc, elle ne voulait pas encourager la facilité. Si des disputes risquaient de se déclencher, elle prenait les personnes concernées à part et leur expliquait la marche à suivre. S'ils n'obéissaient pas ou mettaient le bazar dans la cuisine, ou ailleurs, elle les envoyait sans pitié au gnouf. Elle ne tolérait pas le désordre et était de moins en moins conciliante au vu des précédentes récidives ou réitérations des individus qu'elle dirigeait. Un avertissement, c'était tout ce à quoi ils avaient droit. Bien sûr, lorsque Coré entendait parler de la bêtise qu'ils avaient faite, elle entendait les arguments de l'accusé. Si ce n'était pas sa faute et qu'il semblait vraiment désolé, il pouvait continuer son travail mais Coré l'observait de plus près que les autres et retenait sa bourde. Si le Sarcleur essayait de l'entourlouper, la peine était aggravée. Si, au contraire, le Sarcleur était coupable mais qu'il regrettait sincèrement ses actes, elle était diminuée. Si le Sarcleur était imbu de lui-même, prétentieux, dédaigneux et vantard ou qu'il mentait. le maton le jugeait devant tous les autres et frappait là où cela faisait mal pour que, de peur d'être humilié, il ne recommence plus. La menace de l'humiliation était, la plupart du temps, la meilleure des méthodes. Quoiqu'il en soit, les Sarcleurs savaient qu'ils ne fallait pas mentir à leur maton. C'est ainsi que ce jour-là, Coré allait aux cuisines, accompagnée d'une jeune recrue qui était timide et qui préférait rester dans les champs plutôt que de parler aux autres.
- Aller, courage ! Nous sommes presque arrivés. Tu ne sera même pas obligé de rester si tu veux. Tu m'aidera juste à poser ces paquets dans la cuisine d'accord ?dit-elle d'une voix douce pour motiver le Sarcleur qu'elle avait positionné devant elle pour ne pas qu'il s'enfuie.Je suis sûre que tu peux y arriver, j'ai confiance en toi.déclara Coré en souriant.
Elle savait toujours trouver les mots pour encourager et réconforter ses Sarcleurs. Même si elle était sévère lorsqu'il avaient outrepassé leurs droits, ils savaient qu'ils pouvaient compter sur elle dans les moments durs. Les deux Sarcleurs arrivèrent alors à la cuisine. Celui qui accompagnait Coré posa rapidement les cageots qu'il portait sur la table puis s'enfuit prestement. Avant qu'il ne disparaisse, Coré l'appela et lui dit avec un clin d’œil, en souriant :
- Tu sais Max, je suis fière de toi !
Puis le Sarcleur parti, réconforté et Coré commença à déballer toutes seules les provisions.
J'me démène comme un porc, je sue. Mon visage se rapproche du sol et s'en éloigne. Il se rapproche et s'éloigne. Dans un souffle, je murmure : "41, 42,… 43". Encore un petit effort. J'ai les bras qui tremblent. 41 et 45. Je m'écroule sur le sol mon visage tombe dans la poussière. J'suis seul dans le dortoir à faire mes pompes matinales. Seul. Comme d'habitude quoi.
J'vous ai dit que je ne suis pas du genre à aimer les gens ? Non ? Ben comme ça, vous savez.
Je m'essuie le front avec mon t-shirt. Je pue, je transpire mais je m'en fou. Je ne suis pas là pour plaire. Je suis là pour survivre et faire survivre. Je me dirige vers la cuisine. Je ne jette pas un seul regard aux autres Blocards. De toute façon, chacun est trop concentré à sa tache comme dans une usine. Une putain d'usine à survivre. Des bêtes. Des bêtes en cage que nous sommes. Rien d'autre. Ma cage à moi, c'était la cuisine. Je n'avais pas le plaisir d'être comme les autres à l'extérieur et de gambader dans les champs. Oui, je fais part d'une certaine mauvaise foi. Mais j'étais tranquille dans ma cuisine. On était peu à travailler ici. Mon maton était encore je ne sais pas parti ou mais j'en avais rien à foutre. C'était mieux ainsi. Etre seul, c'était le meilleur moyen pour survivre ici. Je fais l'inventaire de ce qu'il nous reste. Je vérifie ainsi que rien n'ai été volé durant la nuit. Putain. Il manque encore des pommes. Je peste. On n'a pas grand-chose à manger et des imbéciles jouent les égoïstes. Si je les prends sur le fait ceux-là… A croire qu'ils font exprès de me faire tourner en bourrique. Evidement, je ne dis rien au maton, pas envie de me fourrer dans la merde. Pas envie qu'on me dise que je ne sais pas compter ou que je cherche les problèmes. Comment ca j'exagère ? Je vous jure, les gens ici, ils me font pas confiance. Je n'aime pas l'autorité. Ils abusent toujours. Moi ? J'abuse jamais.
Il y a quelqu'un dans ma cuisine. Je le sais. J'entends du bruit de la réserve. Je jette un œil. Juste la maton des sarcleurs. Elle apporte des victuailles. Bien. Je ne la connais pas spécialement. Je ne lui ai jamais parlé à vrai dire. Je me suis toujours demandé comment elle avait pu être gradée maton. C'est-à-dire, qu'elle n'a pas le profil. Elle à l'air doux et calme, elle parle aux autres comme si ils étaient des enfants. Je lève les yeux au ciel quand elle remercie son petit "Max" de l'avoir aidée. On dirait qu'il va se chier dessus le pauvre. Il s'en va et elle déballe les aliments Je m'appuie contre la porte de la réserve et je lance à la fille :
" Tu devrais pas être aussi sympa avec eux. Ce qu'il leur faut c'est de la discipline. Un jour ils vont se monter contre toi et tu ne pourras rien faire. " Je m'approche d'elle et je l'aide à déballer. " C'est cool, y'a plein de trucs à bouffer. Merci. " Juste neutre et froid. Rien d'autre. Pas envie d'être sympa avec les gens. On va tous crever de toute façon. A quoi ça sert ?
Coré était tranquillement en train de déballer ses provisions lorsqu'elle sentit une autre présence que la sienne dans la pièce. Elle n'eut cependant pas à tourner la tête car une voix retentit.
" Tu devrais pas être aussi sympa avec eux. Ce qu'il leur faut c'est de la discipline. Un jour ils vont se monter contre toi et tu ne pourras rien faire. "
Cuisinier. Il s'appelle Madoxx si je me souviens bien. Parfait, je vais pouvoir laisser mes provisions sous la surveillance de quelqu'un. * J'espère qu'il est digne de confiance * pensa la Sarcleuse car elle ne le connaissait pas vraiment.
- Non, ne t'inquiète pas.Répondit-elle avec un sourire.Je sais très bien qui je dois encourager et qui je dois mater. Mais mon travail ne consiste pas en leur gueulant dessus tu sais. Certains finiraient par se braquer et me considérer comme tyrannique.Ajouta-elle tandis qu'une brève lueur sadique passait dans son regard.Les personnes comme Max ont besoin d'être rassurées afin de pouvoir s'épanouir et servir efficacement à la communauté. Si tu les envoie bouler sans arrêt, ils vont mettre de la mauvaise foi dans leur travail et qui dit mauvaise foi dit mauvais travail. Être juste avec ceux qui ne sont pas sûrs d'eux et sévère avec ceux qui dépassent les bornes, c'est mon credo.
" C'est cool, y'a plein de trucs à bouffer. Merci. "
Coré soupira.
- A manger oui. Et de rien, je ne fais que mon travail après tout tu sais... tu es tout seul ici ? Je pensais qu'il y aurait plus de monde pour préparer les prochains repas... tu sais, tu devrais être plus sympa avec les autres. Peut-être serais-tu surpris qui sait ? Nous essayons tous de survivre alors ce serait bien si nous ne nous rendions pas la tâche plus difficile entre nous tu ne crois pas ? Et je sais que je devrais être conciliante mais bon, je vais poser néanmoins ma question : ne dois-tu pas être tout à fait propre avant de manipuler les aliments ? N'y vois aucune offense hein mais bon... je dis cela juste pour que les autres mangent de bonnes choses. Pourquoi ne pas rendre plus supportable notre vie dans le bloc en préparant de repas un minimum correct ? Enfin, je dis ça comme ça moi...déclara la jeune fille en allant poser des produits comme le lait, les légumes et le beurre dans la chambre froide.
*Encore un qui me considère comme une enfant et qui ne pense pas que le poste de maton aurait du m'être accordé...*
- Tu sais, les gens ne sont pas forcément ce qu'ils semblent paraître. Je vois dans ton regard, et dans tes paroles, que tu ne me trouves pas assez ferme, voire sadique pour mon poste de maton. Or, quiconque me connaît biensait que je suis parfois sadique voire cruelle. Si tu repousses sans arrêt les autres, comme je crois que tu le fais, tu dois te sentir bien seul... tu n'as pas envie d'avoir des amis au lieu de ruminer en solitaire jusqu'à la fin de ce calvaire ? Cela change la vie et te permettrait de plus supporter le bloc enfin, d'après moi...
Ok. J'avais face à moi une fille avec qui je n'allais jamais pouvoir m'entendre. Elle commence à me faire tout un blabla sur sa façon d'éduquer son équipe. Mais, poupée, je m'en fous, tu comprends ça ? J'm'en branle de ta vie et ce que tu peux faire pour qui s'intègre. Elle avait a peine ouvert la bouche qu'elle me fatiguait déjà. Putain, qu'est-ce que c'est chiant les filles. Je lève les yeux au ciel et je lui répond, juste par politesse. "Hahaha, comment veux-tu t'épanouir dans un lieu comme ici, c'est la meilleure celle-là haha. " Elle était vraiment conne, ou bien ? "De toute façon, c'pas mon problème la façon dont tu gères ces gosses. "
Et elle continue son blabla. Elle est pénible. Elle marque une pause et je la regarde avec des yeux ronds. Non mais de quoi je me mêle ? Elle se prend pour qui celle-là ? Pour une fois que je disais rien je m'en ramassais plein la gueule. Super, j'suis peut être pas sympa mais toi, tu ferais mieux de t'occuper de tes affaires. Non mais je rêve. Je toise la brune du regard et je ricane. Putain, j'ai envie de lui fracasser ma main sur sa gueule. Mais je ne ferais jamais ça. Frapper une fille ? Jamais. Par contre, je suis à deux doigts de verser mon venin sur elle. Faut juste qu'elle ferme sa petite bouche. Tais-toi, tu vas le regretter, j'vais me fâcher. Ok, je me fâche.
"Pardon ? Heu, tu te prends pour qui madame la princesse ? Je n'ai pas envie d'être sympa avec les gens parce que s'ils sont tous aussi pénibles à écouter que toi, excuse-moi mais j'ai pas envie de me tirer une balle. J'ai mes raisons, alors occupe toi de tes affaires ok ? Non mais sérieusement ? Tu te prends pour qui pour me juger comme ça ? Tu crois que parce que Madame est Maton des Sarcleurs qu'elle peut se permettre de me faire des remarques sur mon comportement ? Haha, la bonne blague. Je fais chier personne à ne pas avoir de potes, alors e viens pas me faire chier avec ta sagesse sortie d'un Kinder Surprise. " Je marque une pause pour me calmer, elle me parle d'hygiène corporelle, putain mais foutez la dehors ! " excuse moi si je n'ai pas laver mes mains pour compter des aliments dans des cageots ! Tu me prends pour qui, sérieusement ? Tu vas pas m'apprendre mon travail. Toi tu t'occupe de m'amener la bouffe, ou nourriture selon les préférences de madame, et moi je la cuisine. Ai-je l'air d'être prêt à cuisiner, non? Alors maintenant tu gardes tes réflexions pour toi car quand on ne sait pas, on se tait, princesse. " Elle me soule, si. Et elle en remet une couche. Putain. J'vais lui défoncer sa gueule à coup de langue de vipère à cette fille. J'vous jure, elle me casse les couilles !
"Mais bravo, félicitations ! " Je me mets à applaudir, le regard insolent. " C'est bien si tu sais être cruelle, félicitations, tu veux une gommette ? Ecoute, je n'en ai rien à foutre de ta vie. Tu comprends ça ? Et j'en ai rien à foutre des gens et ce qu'ils semblent être, rien. Je suis seul et je le vis très bien. Pas envie de m'empoisonner l'existence avec des princesses dans ton genre. Et non, je ne veux pas d'ami. Merci de t'en soucier. Maintenant que tu as fini tes critiques et tes réflexions sur moi alors que tu ne me connais pas, tu dégages maintenant princesse ? " Et je tire le cageot qu'elle venait d'apporter, je vais faire ça tout seul. Pffft, conasse de princesse, va.
Coré fut choquée par les paroles de Madoxx. Elle qui était habituée à être la confidente des autres et à régler leurs problèmes. Voilà ce qu'elle récoltait pour avoir essayé d'aider une personne. Malheureusement, elle avait eu à faire au genre de personne qui pensent ne pas avoir besoin d'aide et se referment sur elles-mêmes. Que devait-elle faire ? Le laisser à sa solitude ou bien essayer de l'aider quand même ? Peut-être serait-il préférable qu'elle essaye de l'aider mais plus subtilement ? Les paroles du cuistot avaient blessé le côté tendre de la jeune fille. Son côté caractériel prit alors un peu le dessus. Elle inspira alors et rétorqua en continua à déballer les provisions :
- Oh et bien je suis désolée Môssieur-je-ne-veux-pas-d'amis. Et tu sais quoi ? Je me fiche de tes raisons. Tu pourrais me répondre gentiment au lieu de t'enflammer. Tu ne veux pas être entouré, aimé et aidé ? C'est ton choix. Mais ne crie pas sur les personnes qui veulent te sortir du pétrin dans lequel tu t'es fourré. Je disais juste ça pour te montrer que nous sommes tous dans la même galère et, que tu le veuilles ou non, tu vas devoir coopérer avec les autres pour survivre ici... Et oui coco, tu as besoin de nous autres Sarcleurs ainsi que des coureurs et trappeurs, ne serait-ce que pour manger. Mais puisque tu veux vivre seul, pourquoi ne t'enfermes-tu pas dans un coin et ne te nourris-tu pas toi-même hein ? C'est vrai, rien ne t'en empêche. Pourquoi ne pars-tu pas vivre dans la forêt ? Et ben voilà ! La vérité est que tu ne PEUX pas car tu ne saurais pas te débrouiller seul. Alors sois un minimum poli avec les autres ! Tu veux être désagréable avec les autres et finir au gnouf ? A ta guise mais ne vient pas te plaindre ou rager contre les personnes qui t'y ont mises après... et ce n'est pas parce que je suis Madame le maton des Sarcleurs, comme tu le dis si bien, que j'ai dit ce que j'ai dit : je l'aurais dis même si je n'avais pas été maton.
*Quel con ce type sérieusement... je comprends qu'on ne veuille pas rentrer dans le moule, c'est légitime d'ailleurs mais enfin... il faut faire preuve d'un minimum de courtoisie tout de même ! Quel mal élevé ! Ça lui coûte quoi d'être un minimum sympa, hein ? Moi qui voulais simplement être gentille et ben il m'a énervée. C'est moi qui te dis bravo maintenant espèce de sale... mais, pourquoi est-ce que je m'énerve à cause de lui ? C'est vrai quoi, il ne mérite pas que mon humeur se dégrade juste par sa faute. J'aurais presque pensé qu'il n'était qu'un pauvre type mais cela ne serait guère intelligent... il me fait de la peine tout de même. Les personnes introverties, qui se protègent comme il le fait, risquent d'exploser à un moment...*
- Tu dis que quand on ne sait pas, on doit se taire. Certes. Cependant, quelle est TA raison ? Pourquoi es-tu en guerre contre tout le monde ? Nous ne t'avons rien fait à ce que je sache ! Nous sommes dans le même bateau que toi d'ailleurs et, nous, nous savons canaliser notre colère et ne pas la déverser sur les autres...tu ne veux pas te confier ? Bien, c'est d'accord ! Mais ne gueule pas sur les autres car tu as des problèmes coco.Déclara Coré d'une voix assurée et redressa les épaules, une lueur assassine dans son regard.
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