D'habitude je ne passe pas autant de temps dans les dortoirs, je n'aime pas rester assise sans rien faire pendant des heures. C'est bien pour cette raison que je suis une coureuse, je préfère passer du temps dehors et prendre des risques démesurés. L'adrénaline, c'est bien ça qui me fait tenir le coup dans cette prison. Faire des conneries aussi d'ailleurs. Je jette un oeil dehors en poussant les rideaux d'un coup sec. Le soleil est levé depuis maintenant quelques heures. Je m'habille rapidement puis m'occupe de mes armes. Je nettoie mon arc avec attention ainsi que mon carquois et mes flèches, les regardant une par une pour vérifier qu'aucune n'est cassée. Je m'occupe ensuite de ma lance et enfin de ma dague que je range ensuite machinalement dans ma chaussure. Je ne la quitte jamais. Au bloc on doit s'attendre à tout à chaque instant, sinon on ne survit pas. Quand je suis enfermée entre quatre murs, je ne m'attends jamais à avoir de bonnes surprises, surtout si ce sont les créateurs qui me les envoie. Les griffeurs par exemple sont dangereux et nous sommes presque impuissants face à eux.
J'ai l'impression d'être le jouet d'une expérience sans vraiment comprendre en quoi elle consiste. Je suis terrifiée par moment en y pensant mais j'ai passé tellement de temps à réfléchir que j'en ai trouvé la conclusion que je ne savais rien et que faire des suppositions ne servaient pas à grand chose non plus. Malgré tout je ne peux m’empêcher d'y songer. Comme la plupart des blocards je présume.
Mais l'heure n'est pas aux réflexions. Ethan m'attend déjà sans doute. J'esquisse un sourire en repensant à notre plan puis sors de la pièce en trottinant légèrement. On a tellement faim en ce moment qu'on compte s'infiltrer tranquillement dans les cuisines pour faire des provisions et s'amuser un peu. J'en ai bien besoin je crois, avec tout ce qu'il s'est passé...La Rebellion, l'arrestation de Jonas et son procès...Il y a vraiment de quoi perdre la tête. Je me demande comment je fais pour être toujours aussi saine d'esprit, il y a de quoi devenir fou, moi je vous le dis! Je fonce en direction des plantations et tourne vers le garde-manger. Il n'y a personne pour le moment. Je fronce lentement les sourcils et regarde autour, mais il n'est pas là. Soudain une ombre se détache et un visage se dessine peu à peu. Le voilà.
Les ronflements des blocards devenaient de plus en plus insupportables. Chaque seconde qui passait exaspérait Liam plus que la précédente. Voilà pourquoi il ne supportait pas les dortoirs. Chaque blocard faisait du bruit, et la combinaison de tous ces sons dans son esprit lui donnait mal à la tête. Souvent, il dormait quelques heures au début de la nuit. Puis, il se réveillait tôt. Trop tôt, au milieu de la nuit principalement. Il laissait ses pensées vagabonder. Mais, au bout de quelques heures passées immobile, tout son corps le démangeait. Il avait besoin de se dépenser, d'échapper à la présence de toutes ces personnes autour de lui. Tout ce bruit ne le dérangeait pas les premières heures. Mais à l'approche de l'aube, cela devenait un véritable calvaire. Impossible de rester sain d'esprit dans ces conditions. Mais il ne pouvait pas sortir trop tôt. Cela attirerait obligatoirement l'attention sur lui. Et il n'avait vraiment pas besoin de ça. Avec les nouvelles règles, l'arrestation de Jonas et tout ça, il ne pouvait pas se permettre de se faire repérer. Avec Allya, ils avaient prévu de s'infiltrer dans les cuisines. Inutile de dire que c'était une infraction. Mais ils avaient tellement faim. Et puis, son amie avait parfaitement su convaincre Ethan. Elle voulait de l'action, et lui aussi. Même s'il avait d'abord refusé, par peur des représailles, le jeune homme avait vite cédé et accepté la proposition d'Allya. De toute manière, elle arrivait -presque- toujours à obtenir ce qu'elle voulait avec lui. Et le brun se maudissait souvent pour ça.
Finalement, en voyant les rayons du soleil filtrer à travers les rideaux, Ethan se leva. Il avait des fourmis dans les jambes, et autant dire que c'était loin d'être agréable. Il se dirigea donc silencieusement vers la porte du dortoir, grimaçant chaque fois que ses pieds se posaient sur le sol. Le choc se répercutait à une vitesse folle dans ses jambes engourdies.
Une fois dehors, le jeune homme prit la direction du garde-manger en prenant soin de ne croiser personne. Par chance, il parvint à destination sans avoir rencontrer le moindre blocard. Tant mieux. Allya était déjà là, immobile. Le brun se dirigea vers elle, avant de la dépasser pour se placer face à elle. Avec un sourire sincère -elle était l'une des rares personnes à y avoir le droit- il la salua.
« Salut Allya. Bien dormi ? »
Sa dernière phrase avait été simple, mais le ton employé avait été sarcastique. Car c'était une question ridicule, qui obtenait toujours la même réponse. Au Bloc, personne ne dormait bien. Pour cela, il fallait déjà dormir. Et pour certain, comme Ethan, ce n'était pas le cas. Ensuite, pour ceux ayant la "chance" de bénéficier d'un peu de sommeil, les nuits étaient souvent agitées. Entre les cauchemars et les souvenirs qui refaisaient parfois surface, les heures de repos étaient bien rares.
Ethan me salue en souriant et je lui rends la pareille, mon visage s'épanouissant au fur et à mesure. Je peux vraiment être moi même avec lui, c'est dingue. Parfois j'ai l'impression de jouer un rôle au bloc, toujours obligée d'obéir aux règles et de respecter les autres alors que je n'ai qu'une envie et c'est de prendre des risques et m'aventurer là où m'attend le moins. Comme je ne suis pas une cuistot et que Ethan non plus, nous ne devrions pas être là. J'avoue que c'est plutôt osé d'aller voler de la nourriture dans le garde-manger, en plein jour qui plus est mais ce n'est qu'un défi en plus à relever et j'adore l'idée de m'infiltrer alors pourquoi se priver? Au départ Ethan n'était pas trop d'accord, il est un peu moins partant que moi pour voler ou faire des conneries mais son côté téméraire que j'aime tant chez lui a vite pris le dessus.
-Salut Allya. Bien dormi ? me lance t-il, sa voie pleine de sarcasme.
J'esquisse un sourire. Tous le monde sait que la fatigue est omniprésente au bloc, c'est impossible de passer une bonne nuit de sommeil sans se faire réveiller par des ronflements ou des petits bruits extérieurs. Et en plus avec tout ce que nous savons, il est difficile de fermer les yeux et de faire confiance à la nuit. Je ne pense même pas être celle qui dort le moins bien. C'est vrai, j'ai des cernes énormes mais au moins je ne fais pas de crises nocturnes comme certains.
- Génial! Je ne peux pas rêver mieux et toi? je réponds de la même façon qu'il m'a posé la question.
Je me tourne ensuite vers la porte du garde-manger et vérifie qu'elle est ouverte. Notre vol aurait été trop beau si tout avait été ouvert, attendant notre arrivée. Mais non, il faut bien qu'on se débrouille pour ouvrir cette foutue porte car elle est belle est bien fermée. En même temps c'est compréhensible.
- On fait comment?
Je hausse les sourcils. On pourrait attendre qu'un cuistot vienne mais je ne vois par où on pourrait se cacher tous les deux en attendant et oui on peut attendre longtemps. Sinon je ne vois pas d'autre idée. Je n'ai pas emmené le nécessaire pour m'occuper de la serrure, je pourrais retourner dans les dortoirs mais sa prendrait du temps et tout le monde est dehors.
Ethan détailla rapidement son amie. Comme d'habitude, elle se tenait droite, l'air fier. Mais ce n'était pas de la prétention. Juste... de l'estime de soi ? Et c'était cela qu'il aimait chez Allya; sa volonté de paraitre forte et déterminée, même lorsque tout s'écroulait autour. Et puis, l'adrénaline et elle ne faisait qu'un, alors il savait vers qui se tourner lorsqu'il avait besoin d'action. De plus, c'était l'une de ses rares amis. Plus méfiant qu'Ethan, il n'y avait pas. La quantité d'amis qu'il possédait était donc très très très faible. Car il n'aimait pas faire confiance aux autres trop vite. Il préférait tester les gens qui tentaient de l'approcher, les cerner et constater par lui-même s'il était prêt à les accueillir dans son cercle proche. Allya y était parvenue, et cela faisait désormais d'elle l'une des personnes qui comptait le plus pour lui. Même si ça, il ne l'avouerait jamais.
« Génial! Je ne peux pas rêver mieux et toi? »
Ethan eut un petit sourire amusé. Il n'y croyait pas. Déjà parce qu'elle avait pris le même ton ironique que lui, signe qu'elle plaisantait. Et puis, personne ne dormait bien au Bloc. C'était un fait.
« Merveilleusement bien. »
Encore une fois, regard moqueur, ton sarcastique, formulation ironique. Tout ça, c'était sa spécialité. Ce qu'il aimait, c'était user de sarcasme à tout bout de champs. C'était sa technique pour dissimuler ses doutes et ses peurs. Cela fonctionnait toujours à merveille, et avec n'importe qui.
Allya se tourna finalement vers la porte du garde-manger... qui était fermée. Bien évidemment, cela aurait été trop beau pour être vrai.
« On fait comment? » demanda-t-elle en reportant son attention sur le jeune homme.
Ce dernier haussa les épaules. Aussi stupide que cela puisse paraitre, il n'avait pas du tout réfléchi à ça. Et puis, il ne possédait pas beaucoup d'affaires personnelles. Pas sûr, donc, qu'il ait quoi que ce soit pour déverrouiller une serrure. Le brun s'approcha à son tour de la porte. Il n'était pas certain qu'un violent coup d'épaule ne suffise. Et puis, cela risquerait d'attirer fortement l'attention. Après une rapide inspection des alentours, le regard d'Ethan s'arrêta sur la fenêtre ouverte, à quelques mètres. Il la désigna à Allya d'un signe de tête, marchant jusqu'à l'appui. Elle n'était pas très haute, assez large. Il poussa la vitre pour agrandir l'ouverture. Le bois grinça légèrement, mais se laissa faire. Désormais, ils pourraient aisément passer chacun leur tour, puis ouvrir la porte de l'intérieur pour pouvoir s'échapper après.
« On passe par là ? »
De toute façon, il ne voyait pas d'autres solutions...
Nous sommes dans le pétrin. Nous -en tout cas moi- n'avions pas vraiment pensé à comment rentrer. Pourquoi les portes ne sont-elles jamais ouvertes? Ce serait tellement plus simple pour voler...Oui, en faite j'ai déjà la réponse à ma propre question. Mais bon, ce n'est pas pour autant que je ne vais pas rentrer avec Ethan dans le garde-manger. Pas question de faire demi tour! Je regarde autour dans l'espoir de trouver une issue, sans succès. Je suis sûre qu'un détail m'a échappé. Ethan me montre alors la fenêtre, ouverte. J'esquisse un sourire: évidemment! Pourquoi n'y ais je pas pensé plus tôt? Mon compagnon des quatre cent coups se dépêche ensuite de pousser la vitre pour que de cette façon nous puissions nous faufiler aisément à l'intérieur.
- On passe par là? me demande t-il
J'éclate d'un petit rire discret et pour toute réponse, m'engage la première par la fenêtre entrouverte. Ethan me suit peu après, après avoir vérifié que personne ne venait à cause du bruit que nous faisons. Mais normalement nous n'avons pas de soucis à nous faire de ce côté là, tous le monde doit être en plein travail. Enfin, quand même, on ne sait jamais et il vaut mieux être prudents en toute circonstance. Et aussi avoir un plan B. Or je n'en ai prévu aucun, pour une fois je suis venue les mains et la tête vide. Je regarde autour de moi et écarquille les yeux devant tant de nourriture. Des fruits, des légumes, des tas de pommes de terre sont éparpillés un peu partout, dans les quatre coins de la pièce. Je me reprends au bout de quelques secondes et fonce ensuite pour voler le plus d'aliments possible. Je croque dans une pomme verte et tourne sur moi même en levant les mains, en guise de victoire. Cela fait tellement de bien de manger! Je n'en pouvais plus d'avoir le ventre vide. Et apparemment Ethan non plus. Je l'observe un instant puis continue de cacher de la nourriture dans mes vêtements et le sac que j'ai emporté.
Mais soudain, des bruits de pas se rapprochant me tirent dans mon activité. J'arrête de bouger et tends l'oreille. Oui, ils se dirigent bien vers le garde-manger!
- Ethan! je chuchote, en espérant qu'il entende. Je crois que quelqu'un arrive!
J'essaye de réfléchir le plus rapidement possible mais rien ne me vient à l'esprit. Je grogne puis me baisse et en faisant attention à bien être silencieuse, je tente de regagner la fenêtre. On pourra toujours se cacher une fois sortie, mais ici, à moins d'être une salade, je ne vois pas comment on peut passer inaperçu.
Pour toute réponse à sa question, Ethan obtint un léger rire. Il observa donc son amie se diriger vers la fenêtre. Elle l'ouvrit un peu plus qu'elle ne l'était déjà, et parvint à passer par l'ouverture. Ethan la suivit, avec tout de même certaines difficultés à hisser son corps et passer de l'autre côté. Mais il réussit finalement, et ils se retrouvèrent bientôt à l'intérieur du garde-manger.
Sans même prendre le temps d'inspecter chaque recoin de la pièce, le brun se rua vers une caisse remplie de pommes. Allya en fit de même et ils s'emparèrent chacun d'un de ces fruits. Ethan croqua dans la pomme rouge qu'il tenait dans la main et savoura longuement le goût sucré qui vint titiller ses papilles. Pourquoi étaient-ils aussi peu nourris alors que le garde-manger regorgeait de provisions ? Le brun ne souhaitait pas s'attarder sur la question pour le moment et, tout en dégustant le fruit, il aida son amie à remplir le sac.
« Ethan! Je crois que quelqu'un arrive! »
Emporté dans son élan, le jeune homme mit un certain moment à assimiler complètement les paroles de la brune. Puis, quand il réalisa, il fit la chose la plus stupide qui soit; il lâcha le sac. Heureusement, il parvint à éviter que la totalité de son contenu ne se renverse au sol. Seuls trois oranges tombèrent et roulèrent un peu plus loin. Ethan s'empressa de les ramasser et de les remettre dans le sac. Allya se dirigeait déjà vers la fenêtre. Il la suivit en portant le sac, tentant de faire le moins de bruit possible. En effet, des éclats de voix commençaient à se faire entendre de l'autre côté de la porte. Sûrement des cuistots qui venaient. Sinon, les personnes s'approchant auraient été bien plus discrètes. La jeune femme avait atteint la fenêtre et ne tarda pas à atterrir de l'autre côté.
« Tiens, prends le sac. »
Ethan passa leur butin à son amie, qui le récupéra de l'autre côté. Seulement, au moment où il s'apprêtait à passer à son tour, la fenêtre claqua brusquement. Surpris, Ethan bascula en arrière et se rattrapa au dernier moment à une caisse à ses côtés. Sûrement un coup de vent, impossible que ce soit une blague d'Allya. Il regarda à travers la vitre et vit justement son ami qui tentait d'ouvrir le battant. Il en fit de même, mais la fenêtre ne cédait pas. Il voulut alors ouvrir la porte, mais celle-ci était toujours verrouillée. Et il n'était pas possible de l'ouvrir de l'intérieur, comme ils n'avaient pas pu la déverrouiller de l'extérieur. Et puis, si jamais il sortait par là, les cuistots lui feraient face. Il devait donc se cacher. Après un rapide coup d'oeil circulaire sur la pièce, le Trappeur opta pour une pile de caisse dans un coin. Il se dépêcha de se glisser derrière ces dernières, se collant au mur. Avec un peu de chance, les inconnus prendraient ce dont ils avaient besoin sans le voir. Et ils ne tarderaient pas, car Ethan sentait déjà sa respiration s'accélérer à mesure qu'il prenait conscience qu'il était enfermé dans un espace clos.
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